Sans-papiers : au tour des travailleuses !

Pour la première fois, des femmes salariées et sans papiers d’une entreprise de nettoyage occupent leur entreprise, au cœur de Paris. Elles sont bien déterminées à obtenir leur régularisation.

Politis.fr  et  Pierre Thiesset  • 1 juin 2008
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Sans-papiers : au tour des travailleuses !
© Pour soutenir les huit grévistes, rendez-vous au local de l’entreprise Ma Net, au 138, rue du Chemin vert, dans le XIe arrondissement de Paris.

« À ceux qui disent que vous avez conscience que vous êtes en situation illégale et qu’aujourd’hui vous profitez du système pour essayer de vous régulariser, vous diriez quoi ? » Le journaliste de France 2 qui vient de poser cette question n’est pas à l’aise. Consigne de son rédacteur en chef. Qu’à cela ne tienne, Fanta Coulibaly assène une réponse cinglante : « Moi je dirais que l’on n’est pas en situation irrégulière. Pourquoi ? Nous on contribue, on paye des cotisations. Et ces cotisations où elles vont ? Au moment d’encaisser l’argent, on ne dit pas que c’est l’argent d’un sans-papiers. Ca, ça ne se dit jamais. Au centre des impôts, on nous demande pas nos papiers. »

Toute l’assemblée applaudit. Pour la première fois, des femmes salariées et sans papiers ont lancé un mouvement de grève pour faire valoir leur droit à la régularisation. Depuis une semaine, elles occupent le local de Ma Net, une société de nettoyage implantée au cœur de Paris, dans le XIe arrondissement. Mariam est à l’origine de la fronde. « On la prépare depuis plus d’un mois, avec une copine qui a la nationalité française. » Kani Diakité, arrivée en France en 1989 à l’âge de 11 ans, habite dans le même immeuble que Mariam. À deux pas du restaurant Chez Papa, où les salariés sont eux-mêmes en grève depuis un mois et demi pour obtenir leur régularisation. « Ce qui se passe en ce moment, ça donne des idées. Il y a 56 sites occupés. Tout le monde va sortir. Plus le mouvement s’agrandira, moins il y aura de sans-papiers » , lance Kani dans un sourire.

Le local de l’entreprise de nettoyage commence à se faire étroit. Quatre salariées l’occupaient le premier jour, elles sont sept aujourd’hui, avec un collègue masculin. Sans compter la présence quotidienne de Droits devant !!, de la CGT et de Femmes égalité, ou les soutiens de passage. Cet après-midi, en l’espace de quelques heures, ont défilé des membres d’une association malienne, le Comité métallos venu en voisin et de simples passants. Ils viennent s’informer, encourager, signer la pétition, donner de l’argent ou de la nourriture.

Gracieuse Lesaffre, militante de Droits devant !!, est émue devant ce combat : « Elles montrent bien qu’elles ne sont pas en France pour pondre des enfants et prendre les allocations familiales. Elles sont là pour travailler. » Toutes sont femmes de chambre, dans l’ombre des hôtels parisiens. Fanta Coulibaly enseignait le français et l’histoire-géographie dans des collèges maliens. Elle est arrivée en France en 2004 pour poursuivre ses études. Titulaire d’un Deug, elle avait un visa en poche, mais est restée sans réponse à ses dossiers de candidature en université. Cette trilingue a alors multiplié les petits boulots, pour obtenir son CDI en mai 2006. « Je sers d’abord des petits déjeuners, et après je fais les chambres, explique-t-elle. En moyenne je travaille dix heures par jour, six jours sur sept. Je n’ai pas de dimanche ni de jours fériés. » Avec une cadence imposée de trois chambres et demie par heure. Fanta gagne 600 à 700 euros par mois. Mariam, fiches de paie à l’appui, s’interroge sur le calcul de son salaire : un mois 536,80 euros pour 100 heures déclarées, un autre 352 euros pour 44 heures…

Illustration - Sans-papiers : au tour des travailleuses !


Pierre Thiesset

Comment vivre à Paris avec si peu ? « Il faut se serrer la ceinture, ne rien gaspiller, répond Fanta. On n’a pas de logement fixe. Les propriétaires profitent de notre situation. Ils nous louent des chambres délabrées à 300, 400 euros et nous disent que c’est pour nous arranger. Tout le monde profite des sans-papiers. » Tous les mois, elle envoie 150 à 200 euros à sa famille restée à Bamako. Son fils a 6 ans et demi. « Je ne l’ai pas vu depuis quatre ans. C’est difficile. »

Selon la plaquette officielle de l’entreprise, Ma Net emploie 250 personnes. Fanta, estime à 90 % le taux de salariées sans-papiers : « Je n’ai toujours côtoyé que des Congolaises. D’ailleurs avant la grève je ne savais pas qu’il y avait d’autres Maliennes. » Dispersées dans des hôtels éloignés, les employées peinent à nouer des liens. D’où la difficulté à étendre la grève. « On les appelle, mais beaucoup de femmes ont peur » , juge Mariam. Les menaces de la direction de l’entreprise n’y sont pas pour rien. « Personnellement ils m’ont appelé pour me dissuader de les rejoindre, dénonce Fanta. Ils m’ont dit que la police les avait embarquées, qu’on risquait d’être expulsées, de perdre notre travail. Je n’ai rien compris, je ne savais même pas ce qui se passait. » Après avoir été avertie par ses collègues le lundi, elle n’a pas hésité une seconde. « J’ai d’abord terminé mon travail, par conscience professionnelle. Et je les ai rejointes tout de suite après. »

Déterminées, les huit grévistes occuperont l’entreprise jusqu’à obtenir satisfaction. « On ne fait que réclamer notre droit, considère Mariam. On paye la sécurité sociale, on bosse comme les autres, alors on a le même droit que les autres. On restera douze mois s’il le faut. » Même ténacité chez Fanta : « On ne cèdera pas. Même si une seule n’est pas régularisée, on sera là. » Leur mouvement a déjà remporté une première bataille : celle de mettre en lumière leur situation. Pour Fanta, c’est un soulagement : « Enfin on peut exprimer ce que l’on ressent. C’est une victoire pour moi. »

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