Mille et une façons d’être juif

Jean-Christophe Attias et Esther Benbassa publient un passionnant « Dictionnaire des mondes juifs ».

Denis Sieffert  • 30 octobre 2008 abonné·es

Voilà un ouvrage d’une folle ambition. Mais le résultat est là, sur 650 pages, pour nous dire que l’érudition des auteurs a bel et bien rendu possible un projet qui pouvait paraître démesuré : réunir sous forme de dictionnaire toutes les fa­cettes du « fait juif ». Ses maîtres d’œuvre, Jean-Christophe Attias et Esther Benbassa, n’ont pas voulu faire l’encyclopédie du judaïsme ; ils préfèrent parler « des mondes juifs » , ce qui leur a donné toute liberté pour intégrer des faits, des événements et des personnages qui appartiennent à la périphérie de l’histoire juive ou s’y rattachent par une libre association de l’esprit.
Nous sommes loin ici d’être limités à l’acception religieuse du judaïsme, même si celle-ci est visitée de façon probablement exhaustive. Les auteurs se sont situés du point de vue de notre imaginaire pour faire voisiner Woody Allen et Spinoza, Freud et Maïmonide. Mais le plus passionnant est sans doute dans l’incroyable diversité et dans la pluralité des histoires, des courants, des conceptions de ce qu’on a coutume de résumer d’un mot : judaïsme. Au-delà d’une ­approche classique « des » mondes juifs ­d’Orient et d’Occident, de la définition des courants, de leur symbiose avec les pays d’accueil dans leur époque
– on pense en particulier au mouvement juif des Lumières, la Hascala –, les auteurs visitent aussi des concepts universels pour nous donner les positions morales produites par les ­différentes doctrines. Que dit-on de la famille, de la place de la femme, du féminisme ? Que dit-on de l’islam, du mariage mixte, de l’homosexualité ? Eh bien, on en dit beaucoup de choses différentes et parfois même contradictoires, selon les époques, les lieux et les écoles de pensée. Et c’est ce foisonnement qui est restitué ici.

Le lecteur découvrira aussi avec intérêt la réflexion sur la notion souvent réductrice d’élection. Le « peuple élu » est-il celui qui a des droits sur les autres ? Ou est-il, en fonction de la morale dont il se réclame, celui qui a surtout des devoirs ? Une idée de « responsabilité à l’égard de l’Autre » qui n’est évidemment pas étrangère à la pensée d’Emmanuel Lévinas. On devine la morale de l’histoire : il y a mille et une façons d’être juif. On imagine que, même si cet ouvrage n’est pas didactique au sens étroit du mot, l’idée que la judéité n’est jamais un carcan mais une liberté de se choisir au monde ne déplaît pas aux auteurs.

Idées
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