Une trop visible absence

À la suite de la réunion nationale des signataires
de l’Appel
de « Politis », Mireille Fanon-Mendès France* s’interroge sur la faible représentation des immigrés et des citoyens d’outre-mer.

Mireille Fanon-Mendès France  • 23 octobre 2008 abonné·es

L’appel de Politis oblige les initiateurs, les signataires et tous ceux qui sont dans l’attente de la construction d’une alternative à gauche à s’interroger sur le constat fait lors de la réunion du 11 octobre. À Gennevilliers, il y avait bien des jeunes, des plus vieux, des femmes et beaucoup d’hommes, mais le miroir proposé ne renvoyait qu’une part réduite de la société vivant en France. Une part manquait, et nous manque : il s’agit des populations immigrées et issues de l’immigration post­coloniale, mais aussi tous les citoyens des territoires et départements d’outre-mer. Cette absence ne permet pas de « constituer/représenter l’ensemble des forces intéressées à l’existence d’une alternative » . Bien sûr, il faut en chercher les raisons sur deux plans : du côté des absents et du côté des signataires. Et c’est peut-être là la difficulté à appréhender ce qui est constaté dans nombre d’initiatives et de luttes.

« Non présents », certes, mais cela signifie-t-il « non concernés » par le processus ? Du côté de l’invitant, on ne peut se satisfaire d’informer et de penser que tout le monde viendra. L’invitation nécessite de travailler sur le plan de l’inclusion et de porter sa voix partout où l’on veut qu’elle soit entendue. À défaut, l’invitant peut se retrouver isolé, non reconnu ou non entendu.
Le non-travail d’inclusion résulte d’une double intériorisation : d’un côté, l’intériorisation de la part des « invisibles » de la place qui leur est assignée par les dominants plutôt européens, mâles et déjà un peu « âgés ». Cela, depuis la postcolonisation, avec aujourd’hui la banalisation des racismes dans les pays développés, sous de nouvelles formes, telles que les politiques répressives envers les migrants et les politiques de dérégulation sociale à ­l’égard des populations marginalisées et des plus fragiles. Il y a domination partout où la guerre aux personnes est déclarée : guerre aux jeunes, aux familles, aux cités, aux pauvres, aux sans-papiers.
L’autre intériorisation est du côté de ceux qui s’identifient, de manière inconsciente ou pas, au rôle de dominant. Il y a une position intellectuelle impensée qui veut qu’un appel comme celui de Politis ­ s’adresse à toutes et tous, que tout le monde est le bienvenu et que vient qui veut… Dans un monde « idéalisé », cela peut fonctionner. Mais c’est oublier l’intériorisation qui fonctionne d’un côté et de l’autre. C’est oublier que celui qui se sent « invisible » ne viendra pas spontanément. Dès lors, comment construire d’autres représentations qui compensent les effets de cette double intériorisation ?
La construction politique d’une alternative à gauche ne pourra exister et faire sens/résistance que si l’ensemble de la population vivant en France y est ­présent, de façon à construire un autre rapport au politique. L’appel de Politis pose, en toile de fond, la question du ­« vivre ­ensemble », à la manière d’une transformation en actes des situations où dominés et dominants ont tout à perdre de la pérennisation des ordres et ­désordres existants. L’urgence démocratique identifiée par l’Appel de Politis repose sur ce travail d’inclusion et de rencontres, de façon à refuser le déterminisme historique qui se traçait hier devant le colonisé et se trace aujourd’hui devant « le globalisé », obligé de se soumettre aux exigences du marché, au déterminisme imposé par les lois du marché et par les dominants.

Cette urgence démocratique se pose aussi bien au plan national, avec des questions concernant la nature de la démocratie dans laquelle l’ensemble des habitants, y compris les migrants, bénéficient de l’accès à une complète citoyenneté (à commencer par le droit de vote et par l’égalité des droits entre tous les citoyens, simplement parce que vivant et travaillant ici – ils sont d’ici !), qu’au plan international, avec la question de la paix et de la sécurité internationales. Quelle est la nature de la paix et de la sécurité portée par ce type d’alternative, et dans quel cadre s’inscrit-elle ? Cette urgence questionne aussi la construction d’une alternative politique à gauche.

Sans l’ensemble des citoyens, de tous les citoyens, cette alternative risque de ne représenter qu’elle-même et de ne pas permettre les transformations sociales et politiques que le moment appelle. Cette question est d’ailleurs aussi posée et à poser au processus des forums sociaux mondiaux.

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