La coupe est pleine

Sombre tableau : dans la Seine, les poissons ont changé de sexe. En Inde, l’eau contaminée des puits et rivières coûte la vie de milliers de personnes par an. Le Gange se meurt d’empoisonnement. Les cours sont interrompus par des barrages édifiés par Suez, qui revend ses services aux habitants à un prix dix fois plus élevé qu’auparavant. En Bolivie, la privatisation de l’eau, imposée par la Banque mondiale, exclut nombre de foyers de l’Alto. Aux États-Unis, Nestlé pompe 1 700 litres de flotte par minute dans les montagnes du Michigan, qu’elle embouteille. Gain : 1,8 million de dollars par jour, sans rien débourser en retour. Les cours d’eau se sont affaissés, laissant place aux bancs de boue. Sur l’ensemble du pays, 36 000 tonnes d’atrazine, un pesticide fabriqué en Europe, interdit sur le vieux continent mais vendu outre-Atlantique, est déversé chaque jour, phagocytant les eaux souterraines. Dans les eaux en bouteille, à peine réglementées, on trouve de l’arsenic, différentes bactéries. D’une image à l’autre du documentaire, la coupe est pleine.

Durant trois ans, parcourant le monde, interrogeant scientifiques, responsables des questions d’environnement, consommateurs, Irena Salina a mené une enquête avant de délivrer un diagnostic sans équivoque. Dans ce qui demeure la troisième industrie mondiale après le pétrole et l’électricité, foin de projections inquiétantes sur l’avenir ; les dangers, minimisés par les autorités, sont bien actuels. Ici et là, la réalisatrice relève le même constat d’un scandale écologique, scientifique, économique et humain dans un monde contrôlé, vicié, où s’entendent notamment Suez, Thames Water, Vivendi et la Banque mondiale. Pas de hasard si les premiers couteaux de Veolia et de Suez sont conseillers à la Banque mondiale. Là-dedans, les populations spoliées, abusées, qui s’organisent pour un droit à l’eau pour tous, font figure de David contre Goliath.