Massacres pour l’or gris

Les conflits de la province du Kivu ne sont ni politiques ni idéologiques. Mais tout à fait mercantiles, dans une région riche en minerais et en bois précieux.

Claude-Marie Vadrot  • 13 novembre 2008 abonné·es

La rébellion du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) menée dans l’est du Congo dit démocratique par le « général » Laurent Nkunda, n’a pas plus de fondements politiques ou idéologiques que toutes les luttes fratricides qui dévastent le Nord et le Sud-Kivu depuis que la région a été submergée en 1994 par les réfugiés Hutus craignant les vengeances après le massacre des Tutsis. Avec l’équipement militaire fourni par l’Occident et les trafiquants d’armes russes et biélorusses, il s’agit essentiellement de contrôler et d’exploiter le plus rapidement possible toutes les richesses de cette région, notamment les bois précieux et le minerai de coltan (« l’or gris »), si utile pour les téléphones portables et les ordinateurs. Des matières premières « blanchies » ensuite par un bref séjour en Biélorussie et au Kazakhstan. Les Iliouchine et les Tupolev hors d’âge multiplient actuellement leurs rotations en utilisant des pistes de fortune sévèrement gardées par des milices aux noms exotiques. Ces mêmes équipes ont donné un coup de main aux forces ivoiriennes, il y a quelques années.

Illustration - Massacres pour l’or gris


Un enfant jeté sur les routes avec sa famille à Kiwanja, au Nord-Kivu, le 10?novembre. SCHMIDT/AFP

Pour tous les chefs de guerre, qu’ils se parent ou non de généreuses intentions, le pouvoir éventuel à ­Kinshasa ne constitue qu’une prime possible pour le vainqueur, c’est-à-dire le droit, à partager avec le Rwanda et d’autres, d’exploiter toutes les richesses du pays. Ce ne serait pas la première fois que les Rwandais conduiraient un futur dirigeant du pays jusqu’à la capitale, puisque ce fut le cas de Laurent-Désiré Kabila, père du président actuel, en 1997. Le coût humain a été immense. Bernard Kouchner fait maintenant semblant de s’agiter, alors que le désastre dure depuis des années.
D’après les comptes forcément imprécis du Haut Commissariat aux réfugiés, le Nord-Kivu comptait déjà 800 000 personnes déplacées avant la reprise des combats. Dont seulement une centaine de milliers hébergées dans une quinzaine de camps. Depuis quelques jours, des dizaines de milliers de familles sont à nouveau jetées sur les routes. Une responsable du HCR, intervenant à Goma, confiait dimanche à Politis que « le nombre des personnes déplacées dépasse désormais un million. Nous avons le plus grand mal à assurer leur sécurité car les forces de la Monuc [mission de l’ONU en République démocratique du Congo, NDLR] ne pensent qu’à leur sauvegarde. Impossible d’attendre quoi que ce soit de ce conglomérat de Pakistanais, d’Indiens, de Bengalis, de Népalais, de Sud-Africains et même d’Uruguayens, qui refusent de prendre le moindre risque pour protéger les populations civiles. Ce qui les intéresse, ce sont les soldes supérieures qu’ils touchent. Même s’ils doivent les partager avec leurs gouvernements, qui oublient souvent de les payer. Participer à une force de dissuasion dans certains pays du Sud est une bonne affaire ! Ils sont plus d’une quinzaine de milliers et ils ne servent à rien. Nous ne pouvons même pas faire protéger nos camps de réfugiés organisés. Ceux-ci restent sans défense, à la merci d’une catastrophe humanitaire. D’un jour à l’autre, la population d’un camp peut être massacrée. » Ces hommes et ces femmes du HCR craignent autant les Congolais que les bandes du « général » Nkunda, mis hors la loi par le gouvernement de Kinshasa en 2005 pour les crimes de guerre commis en 2004 lors de l’attaque de Bukavu. Ce qui ne les a pas empêchés de signer un accord de paix au mois de janvier dernier, accord qui n’a jamais été respecté. Pendant ce temps, les pillages et les exactions se poursuivaient, avec des massacres qui ne datent pas d’une semaine.

La dernière catastrophe est écologique : tous les affrontements se déroulent dans ce qui fut un paradis forestier, détruisant le parc national de Virunga, les gorilles de montagne ou de plaine, les bonobos, les chimpanzés, les rhinocéros, les derniers éléphants et quelques okapis. Peu à peu, les derniers espaces naturels, qui faisaient aussi la richesse touristique de la région, disparaissent. Y compris, comme l’expliquent des officiels de l’Unesco qui sont les seuls à agir dans la région, avec la participation de l’armée congolaise et de détachements des Nations unies. Au cours des six dernières années, près de 200 gardes du parc de Virunga ont été tués par les uns ou les autres, et évidemment par les braconniers.

Monde
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

Droit international : quand règne la loi du plus fort
Monde 9 juillet 2025 abonné·es

Droit international : quand règne la loi du plus fort

Les principes du droit international restent inscrits dans les traités et les discours. Mais partout dans le monde, ils s’amenuisent face aux logiques de puissance, d’occupation et d’abandon.
Par Maxime Sirvins
Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face

Depuis les traités de Westphalie, le droit international s’est construit comme un champ en apparence neutre et universel. Pourtant, son histoire est marquée par des dynamiques de pouvoir, d’exclusion et d’instrumentalisation politique. Derrière le vernis juridique, le droit international a trop souvent servi les intérêts des puissants.
Par Pierre Jacquemain
La déroute du droit international
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

La déroute du droit international

L’ensemble des normes et des règles qui régissent les relations entre les pays constitue un important référent pour les peuples. Mais cela n’a jamais été la garantie d’une justice irréprochable, ni autre chose qu’un rapport de force, à l’image du virage tyrannique des États-Unis.
Par Denis Sieffert
Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »
Entretien 2 juillet 2025 abonné·es

Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »

L’intellectuel syrien est une figure de l’opposition au régime des Assad. Il a passé seize ans en prison sous Hafez Al-Assad et a pris part à la révolution en 2011. Il dresse un portrait sans concession des nouveaux hommes forts du gouvernement syrien et esquisse des pistes pour la Syrie de demain.
Par Hugo Lautissier