Contre les dogmes

La sociologue Christine Delphy montre que sous l’apparente neutralité de certains principes gît l’obsession de « classer » et de « dominer ».

Denis Sieffert  • 11 décembre 2008 abonné·es

L’antiracisme n’est pas une notion simple. Récupéré, détourné, perverti, et finalement retourné en son exact contraire, il est devenu un label politique qui mérite au minimum examen. C’est précisément à cet examen minutieux que nous convie dans son dernier livre Christine Delphy, sociologue, philosophe, mais aussi, et peut-être surtout, militante acharnée contre le patriarcat et le racisme. Car Christine Delphy ancre sa réflexion dans l’actualité. Elle fait un sort à certains discours qui se donnent des airs d’évidence. Comme cette guerre d’Afghanistan menée, nous a-t-on dit frauduleusement, au nom du féminisme. Ou, bien sûr, cette loi d’interdiction du voile qui aurait été inspirée par le même souci. Comme pour délégitimer les autres combats du féminisme.

La sociologue, directrice de la revue Nouvelles Questions féministes, nous montre que c’est moins simple que cela. Elle resitue les débats dans un contexte marqué par des rapports de force entre dominés et dominants. Et n’a de cesse de répondre à la question qui figure en sous-titre de son livre : « Qui sont les “autres” » ? Elle nous montre, parfois avec une verve polémique réjouissante, que ces « autres » – femmes, Noirs, Arabes, musulmans, homosexuels, pauvres, etc. – sont surtout « tolérés » quand ils acceptent de ne pas trop afficher leur altérité. Respectés à condition de ne pas être trop visibles, ou de ne pas trop revendiquer leur altérité. Acceptés à condition de n’être pas soi-même. C’est ici qu’un certain « antiracisme » dérape, posant à la tolérance ses conditions de soumission et d’alignement.
Christine Delphy est du côté des minorités ethniques, des féministes, des homosexuels, les uns et les autres « accusés de vouloir détruire l’unité nationale et l’universalisme républicain ». Cet « universalisme » qui n’est, selon elle, qu’un « masculin neutre ». Autrement dit, l’ultime parure d’un rapport de domination. Christine Delphy conteste tous les dogmes, même les mieux installés, et sa pensée est bigrement stimulante.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

« Fanon nous engage à l’action »
Entretien 16 juillet 2025 abonné·es

« Fanon nous engage à l’action »

À l’occasion du centenaire de la naissance de Frantz Fanon, sa fille, Mireille Fanon-Mendès-France, revient sur l’actualité cruciale de son œuvre, ses usages, ses trahisons, et sur l’urgence d’une pensée véritablement décoloniale, face aux replis identitaires et aux résistances d’un ordre postcolonial jamais réellement démantelé.
Par Pierre Jacquemain
Frantz Fanon, un éclairage disputé sur l’héritage colonial 
Idées 16 juillet 2025 abonné·es

Frantz Fanon, un éclairage disputé sur l’héritage colonial 

Alors que l’on célèbre le centenaire de la naissance de Fanon, sa pensée reste centrale dans la compréhension du passé et du présent colonial. Quitte à susciter des interprétations opposées.
Par François Rulier
Fanny Gollier-Briant : « Il faut absolument repolitiser la souffrance des jeunes »
Entretien 16 juillet 2025 abonné·es

Fanny Gollier-Briant : « Il faut absolument repolitiser la souffrance des jeunes »

La pédopsychiatre au CHU de Nantes considère le « plan psychiatrie » présenté en juin par le gouvernement largement insuffisant, alors que les chiffres sur la santé mentale des adolescents et des jeunes adultes sont extrêmement inquiétants.
Par Elsa Gambin
En finir avec le mythe du « banlieusard-casseur »
Idées 16 juillet 2025 abonné·es

En finir avec le mythe du « banlieusard-casseur »

À chaque débordement dans un cadre festif, les projecteurs médiatiques se braquent sur la jeunesse venue des périphéries. Entre fantasme médiatique et héritage colonial, cet imaginaire a la peau dure.
Par Kamélia Ouaïssa