Orwell et les pesticides

André Cicolella  • 4 décembre 2008 abonné·es

L’UIPP (Union des industries pour la protection des plantes), ce syndicat de producteurs de pesticides, a publié un communiqué à propos du film de Jean-Paul Jaud Nos enfants nous accuseront [^2] : « 4 000 études scientifiques ont été publiées sur les causes des cancers. À ce jour, la communauté scientifique considère qu’il n’est pas possible d’établir un lien entre pesticides et cancer. » À l’appui de cette thèse, le rapport de l’Académie de médecine (assimilée à elle seule à la communauté scientifique, telle un orwellien ministre de la Vérité…), publié l’an dernier, niant quasiment tout lien entre pollution et cancer. Affirmation étonnante pour qui veut bien lire la littérature scientifique internationale. C’est ce qu’a fait une équipe universitaire de l’Ontario. Sa synthèse, publiée en octobre 2007 dans la revue Canadian Family Physician , est accessible sur la base de données de référence Medline : 104 études répertoriées entre 1992 et 2003, 83 retenues au vu de critères de qualité méthodologique dont 73 (soit 88 % !) montrent une association positive entre pesticides et cancers, principalement des lymphomes non-hodgkiniens, leucémies et tumeurs du cerveau. La même équipe a analysé les effets non cancérogènes : 150 études répertoriées, 124 retenues dont 105 (85 % !) montrent des effets liés à l’exposition aux pesticides, notamment neurotoxiques (principalement la maladie de Parkinson) et reproductifs (malformations, infertilité, altération de la croissance et mort fœtale). Les auteurs concluent logiquement : « Il y a suffisamment de preuves pour recommander une réduction de l’usage des pesticides. » Cette position a été soutenue notamment par le Collège des médecins de famille de l’Ontario, la Société pédiatrique canadienne, la Société canadienne du cancer et les associations de santé publique de l’Ontario et du Canada.

Et en France ? Silence des associations équivalentes. Pourtant, une étude publiée en décembre 2007 par l’Inserm est venue conforter ce diagnostic : l’usage d’insecticide pendant la grossesse est associé de façon significative aux leucémies aiguës et aux lymphomes non-hodgkiniens chez l’enfant. Une réalité encore largement niée en France : le risque pesticide vient le plus souvent de l’exposition domestique, et pas seulement des résidus dans l’alimentation. Une étude de l’Institut national de l’environnement et des risques (Ineris) sur un groupe d’enfants franciliens a récemment montré la présence de pesticides organophosphorés sur les mains d’un enfant sur deux. C’est pour cela qu’il faut aller voir le film de Jean-Paul Jaud. Il a le grand mérite de montrer que les chiffres de l’épidémie de cancer ont aussi un visage et qu’il est urgent de se mobiliser pour un monde sans pesticides sans attendre d’avoir l’autorisation de l’Académie de médecine et de l’UIPP.

[^2]: Voir Politis n° 1024, NDLR.

Écologie
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