Le « Green New Deal » n’est pas à la hauteur

Thomas Coutrot  • 15 janvier 2009 abonné·es

En janvier 2007, Thomas Friedman, l’éditorialiste néolibéral et belliciste du New York Times, inventait une expression qui fait désormais fureur : « Green New Deal ». Roosevelt avait lancé en 1933 le « New Deal », un programme de grands travaux publics destiné à combattre le chômage de la Grande Dépression. Depuis la panique financière et bancaire de l’été 2008, les élites économiques et politiques internationales se convertissent, du moins en paroles, à l’idée d’un New Deal vert. Obama a annoncé 150 milliards de dollars d’investissements publics en dix ans pour la recherche et le développement en matière d’alternatives énergétiques, qui pourraient créer 5 millions d’emplois ; la mise en place d’un marché de droits d’émission de CO2 pour réduire de 80 % ces émissions d’ici à 2050 ; le financement public de la reconversion vers les secteurs « verts » des travailleurs licenciés par les secteurs traditionnels…
On comprend aisément l’enthousiasme des élites, déboussolées par une crise financière qu’elles n’ont en rien prévue et dont les conséquences encore inconnues les angoissent. Par sa conversion massive à la sobriété énergétique, le capitalisme pourrait, espèrent-elles, retrouver à la fois la croissance et la légitimité, créer des millions d’emplois et résoudre la crise climatique.
On peut néanmoins rester sceptique sur ces perspectives. D’abord parce que les capacités d’investissement du secteur privé sont évidemment partout en chute libre du fait de la crise du système bancaire et de l’effondrement en cours des ventes et des profits. Le mot d’ordre est aujourd’hui la survie et la réduction des coûts, pas le lancement de grands plans d’investissements. Le salut ne peut donc venir que de l’investissement public.

Or, justement, les ressources publiques manquent cruellement. Les budgets des États sont déjà saignés à blanc (un déficit de 10 % du PIB aux États-Unis en 2009 !) par les plans de sauvetage des banques et des entreprises, et par les mesures de relance de court terme nécessaires pour éviter l’effondrement total des économies. Il y aurait bien moyen de retrouver des marges de manœuvre budgétaires en taxant les revenus financiers et les fortunes des spéculateurs, mais une telle réforme fiscale ferait bien sûr horreur aux élites.
Ensuite parce que les investissements dans la recherche ou les infrastructures qu’on parviendrait à financer n’auront pas d’effets immédiats sur l’activité économique alors que les décideurs politiques sont tenus à des résultats rapides : ils privilégieront donc des mesures de court terme de soutien de la demande (baisse de la TVA en Grande-Bretagne, baisses d’impôts aux États-Unis, prime à la casse des véhicules en France, etc.).
Sans compter que les lobbies industriels dominants – pétrole, chimie, automobile… – se battront avec la dernière énergie pour limiter les mesures écologiques concrètes, comme on l’a encore vu en décembre au Conseil européen de Bruxelles, qui a réduit les ambitions du plan « énergie climat ».
En outre, pour qu’un New Deal vert puisse réussir, il faudrait stabiliser le prix du pétrole à un niveau élevé par un accord international et un système de taxes globales. En effet, les entreprises ne se reconvertiront pas massivement au post-CO2 si les prix du pétrole continuent à jouer au yo-yo (de 145 dollars en juillet 2008 à 40 dollars aujourd’hui) et à empêcher tout calcul économique à long terme.
Enfin, il faudrait également ramener à la raison l’industrie financière, en taxant les transactions financières, en limitant les bonus et les dividendes, en interdisant les paradis fiscaux, en réglementant drastiquement les produits dérivés et les fonds spéculatifs. Faute de quoi, on n’évitera pas les emballements spéculatifs et la création d’une « bulle verte » tout aussi nocive que les bulles précédentes.

Bref, pour que le capitalisme sorte de l’ornière grâce à un « Green New Deal », il faudrait une réforme fiscale radicale impliquant une redistribution des richesses, la mise en place de taxes globales sur le pétrole et sur les émissions de CO2, une domestication de la finance. Autant dire que seul des mouvements sociaux d’une puissance formidable pourraient y contraindre les élites en place. Mais, même dans ce cas, la crise écologique resterait sans solution, à cause de « l’effet rebond ». Ainsi les voitures électriques nécessitent moins de pétrole pour rouler, mais si le nombre de véhicules reprend sa croissance planétaire, la pression sur les ressources non renouvelables ne fera que s’aggraver. Dans tous les domaines, le rebond de la croissance compenserait les gains d’efficacité énergétique, et la poursuite indéfinie de l’accumulation du capital se heurterait toujours aux limites de la planète. C’est donc bien à cette logique de l’accumulation que les mouvements sociaux doivent s’attaquer, en luttant pour que la loi du profit cède la place à la délibération démocratique.

  • Membre du conseil scientifique d’Attac France.

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