Seul au monde

Dans « Dernière Saison », de Raphaël Mathié,
un vieux paysan
sans descendance doit
se résoudre à céder
sa ferme. Un documentaire humaniste.

Christophe Kantcheff  • 22 janvier 2009 abonné·es

Les ciels sont blancs, les arbres nus, la terre est grasse. Un vieil homme trie des rondins de bois dans une pile de quelques stères. C’est l’hiver dans cette ferme du Cantal au beau nom de Combalimon. Mais c’est aussi « la dernière saison » du fermier, Jean Barrès, qui, à presque 70 ans, sans femme et sans enfant, doit passer la main. D’emblée, le documentaire de Raphaël Mathié se place sous le signe de la transmission. On assiste au vêlage d’une vache sur un chemin de terre, que le vieil homme aide autant qu’il peut, avec ses forces déclinantes. La vache aura des descendants. Pas le fermier.

Sollicité par Jean Barrès, qui a demandé au cinéaste s’il serait intéressé de « faire un film sur un endroit qui se meurt » , Dernière Saison (Combalimon) est un film d’immersion. Immersion de Raphaël Mathié, qui est resté de nombreuses semaines auprès du vieux paysan, qui, en totale confiance, lui a ouvert ce qui embarrasse son esprit et son cœur. Le film témoigne d’une honnêteté scrupuleuse quant à la place du cinéaste face à son « personnage », quelque chose qui ressemble à un rapport d’égalité, sans aucune condescendance, contrairement à la Vie moderne de Raymond Depardon, sur le même sujet.

Le film touche pourtant au plus intime. Par exemple, à cette tentative ratée de mariage par correspondance avec une Camerounaise, solution possible pour Jean de transmettre sa ferme tout en veillant à sa continuité. Mais la rencontre a viré à la confrontation. La jeune Africaine a vite quitté les lieux. L’homme en parle avec un autre paysan esseulé au téléphone. Mais, le plus souvent, il est filmé dans ses activités quotidiennes de la ferme, muet. Passent dans son regard des nuages dont on devine qu’ils ont trait à la mort, à l’extinction, même si jamais rien n’en est dit.

L’épisode le plus poignant est celui de la vente de son cheptel. Une fois l’étable vide, c’est à peine s’il lâche à un ouvrier agricole qui vient le visiter : « C’est dans la tête que ça fait un trou. » Mais il n’est jamais dans la plainte. Jean est dans sa vie intérieure, où s’ouvrent des failles inédites.
Des images plus sensuelles de nature et d’insectes apparaissent cependant.

Le film se terminera au printemps. Une jeune femme, qui souhaite orienter la ferme vers l’élevage de brebis, propose à Jean de reprendre son exploitation. Ce n’était pas ce que Jean Barrès avait envisagé. Cette promesse d’avenir pour Combalimon exige de lui des concessions, de céder la place. Le film de Raphaël Mathié interroge en dernier ressort le sens d’une vie au moment de se retirer. Magnifique, et profondément humain.

Culture
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