Des bébés faits maison

De plus en plus de femmes souhaitent accoucher à domicile. Remboursée par la Sécu et bien encadrée, cette pratique pourrait pourtant disparaître en France, victime des assureurs et de nombreux a priori.

Marion Dumand  • 5 mars 2009 abonné·es

L’accouchement à domicile ? Ça n’existe pas. Du moins sur le site de l’Assurance-maladie, ameli.fr, ou dans les données statistiques. Serait-ce donc une pratique hors-la-loi, réservée à quelques illuminés ? Ce cliché cadre mal avec la réalité : non seulement l’accouchement à domicile (AAD) est strictement encadré, exercé en France par quelque soixante sages-femmes et de rares médecins, mais il est remboursé par la Sécurité sociale à hauteur de 312 euros. Pourtant, ni le ministère de la Santé ni la Caisse nationale d’assurance-maladie ne peuvent, ou ne veulent, répondre à nos questions.

« L’inexistence de chiffres est, en soi, une info extraordinaire , estime Michel Naiditch, chercheur en santé publique à l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes). On ne veut pas connaître le phénomène, ni distinguer l’accouchement à domicile, correctement suivi, de ceux subis et inopinés, souvent abominables. » En effet, les chiffres les plus fréquemment avancés, bien qu’aux sources obscures, évoquent 1 % d’accouchements hors structures hospitalières, soit huit mille naissances par an.

Ces estimations ne révèlent pas la difficulté principale : alors que la demande augmente depuis quelques années, selon Isabelle Bar, de l’Association nationale des sages-femmes libérales ([ANSFL-> www.ansl.org
]), la pratique est de plus en plus difficile, voire impossible. Depuis 2002, les professionnels de santé exerçant en libéral ont dû contracter une assurance, les contrevenants risquant 45 000 euros d’amende et une interdiction d’exercer. « Pourtant, la totalité des assureurs français refusent d’inclure le “risque” accouchement à domicile dans les nouveaux contrats proposés aux sages-femmes » , s’alarment l’ANSFL et l’Union nationale des syndicats de sages-femmes. Évidemment, un recours est prévu : le Bureau central de tarification peut ordonner à un assureur d’assurer, à un certain tarif, au cas par cas. Résultat, pour Isabelle Bar : on lui propose un contrat à 19 000 euros par an ! « Étant donné nos honoraires, ça revient à interdire l’accouchement à domicile en France. » Ou à continuer vaille que vaille : «  Nous sommes dans l’illégalité tolérée », note Isabelle, qui a elle-même accouché à domicile.

« C’est le royaume de la mauvaise foi, s’agace Gilles Gaebel, du Collectif interassociatif autour de la naissance (Ciane). En Allemagne, en Belgique, en Hollande, les sages-femmes peuvent très bien s’assurer. » Et pour cause : en Hollande, les AAD représentent presque 30 % des accouchements, sans qu’il y ait plus de mortalité qu’en France ! En Grande-Bretagne, les collèges royaux des obstétriciens et gynécologues d’une part, des sages-femmes de l’autre ont, en avril 2007, émis une déclaration conjointe où ils « soutiennent la naissance à domicile pour les femmes ayant des grossesses sans complications ». Selon eux, « il existe de nombreuses preuves indiquant qu’accoucher à la maison augmente la probabilité pour une femme d’avoir une naissance qui soit à la fois satisfaisante et sans danger ».

Mais, en France, le bât blesse. Les alternatives qui placent parturientes et sages-femmes au centre de leur projet rencontrent très souvent l’hostilité du corps médical, obstétriciens et anesthésistes en tête. Ces alternatives risquent même de disparaître pour les AAD, de stagner pour les plateaux techniques  [^2] ou de ne pas voir le jour pour les maisons de naissance (MDN). L’expérimentation de ces lieux non médicalisés pour les accouchements dits physiologiques (au contraire de pathologiques) a été recommandée en 1998 par Bernard Kouchner et incluse dans le plan Périnatalité 2005-2007. Aujourd’hui, le décret permettant cette phase d’essai n’a toujours pas paru.

Pourquoi tant de haine ? « C’est une spécialité franco-française, remarque Isabelle Bar. On considère ici que tout accouchement est potentiellement pathologique, alors que, dans le reste de l’Europe, il est perçu comme normal mais pouvant parfois se compliquer. » Les « anti » peuvent donc être de bonne foi. Ou, plus intéressés, « redouter, selon Michel Naiditch, de voir hôpitaux et cliniques désertés non pas tant par les femmes que par les sages-femmes » . En outre, nombreux sont ceux qui maîtrisent mal le sujet : « Le problème principal vient d’une grande méconnaissance et d’a priori » , constate Isabelle Bar qui, à force de temps, entretient de bons rapports avec l’hôpital accueillant les transferts. Il faut en effet savoir que les femmes souhaitant un AAD doivent néanmoins rencontrer un anesthésiste, au cas où, et peuvent être transférées vers une maternité. Parce qu’il arrive que l’accouchement s’éternise, que surgisse une complication ou que la femme demande une péridurale. Le cas est relativement fréquent : environ 20 %, et jusqu’à un tiers pour les nullipares.

Même pour l’AAD, une coopération entre maternités et sages-femmes est donc nécessaire, mais pas toujours acceptée. « Elles ne veulent pas en­tendre parler de nous. On a beau les mettre en garde : des femmes finiront par accoucher seules chez elles » , note une sage-femme, qui préfère rester anonyme. Après 200 grossesses suivies, venues à terme à domicile ou à l’hôpital, elle met au monde en 2008 un bébé qui meurt rapidement. Les parents ne blâment pas la sage-femme, mais le médecin de l’hôpital voisin porte plainte auprès du Conseil de l’ordre des sages-femmes, qui lui emboîte le pas. Le conseil disciplinaire pourrait décider un blâme ou une interdiction d’exercice temporaire ou permanente.

L’année précédente, une autre sage-femme, Françoise Servent, a été mise en examen pour homicide involontaire puis relaxée. Là encore, la plainte, déposée deux ans après la mise au monde d’un enfant mort-né, n’émanait pas des parents. « La loi stipule qu’un enfant mort-né – ou né vivant mais non viable – n’est pas une personne au sens juridique du terme, rappelle l’Association de soutien à l’AAD. Par conséquent, chaque cas d’enfant mort-né, que cette naissance se soit déroulée à domicile ou en maternité, ne génère pas un procès. En dépit de ceci, il n’en est pas de même pour Françoise Servent, qui exerce depuis 26 ans et comptabilise près de 800 AAD et un seul cas d’enfant mort-né (soit 1,21 pour 1 000 contre 4,21 pour 1 000 en maternité pour des grossesses normales en 2006). »

Certes, il ne s’agit que de deux cas, mais la pression peut décourager. « Je n’ai plus envie de ces confrontations, admet notre témoin, d’être accusée à tort et à travers, de n’avoir aucun soutien des structures médicales. »
Les groupes d’usagers, comme le Ciane ou l’Association francophone pour l’accouchement respecté, ne se battent pas tant pour l’AAD que « pour le droit au choix, fiable, sécurisé et respectueux des personnes » selon les termes du Ciane. « Il ne s’agit pas de défendre coûte que coûte l’accouchement à domicile, mais d’en faire comprendre la démarche, parallèle au suivi global ou semi-global et aux projets de maisons de naissance, explique Isabelle Bar : un interlocuteur unique s’occupe de toute la grossesse, de l’accouchement et de ses suites. Ce qui permet de redonner confiance aux femmes. » Une position qui permettrait un meilleur accompagnement, notamment hors des grandes agglomérations. « On est passés de 1 379 maternités en 1975 à 584 début 2008 » , rappelle la Coordination nationale de défense des hôpitaux et maternités de proximité. Si l’argument ne convainc pas les pouvoirs publics, en voici un autre qui saura peut-être séduire leurs oreilles économes : « Que 20 % des femmes accouchent dans des MDN ou à domicile, analyse Gilles Gaebel, et c’est 150 millions d’euros qui seraient économisés chaque année. »

[^2]: Un accord peut permettre à une sage-femme de faire accoucher sa patiente dans une structure médicale.

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