Le travail, un concept démodé

La crise conjoncturelle de l’emploi ravive les thèses du philosophe André Gorz, pour qui, en raison des gains de productivité, le travail est condamné à disparaître.

Pauline Graulle  • 26 mars 2009 abonné·es

«L’économie n’a plus besoin – et aura de moins en moins besoin – du travail de tous et de toutes. […] La “société du travail” est caduque » , écrivait en 1988 le philosophe André Gorz  [^2]. Vingt et un ans plus tard, la crise semble lui donner raison. Avec son lot de chômeurs et de plans sociaux, l’industrie de l’automobile paraît, en France, vouée à un avenir bien sombre. Même scénario hors de nos frontières : au Japon, en Allemagne ou en Grande-Bretagne, l’ensemble du secteur industriel tourne au ralenti et s’est lancé dans une organisation du travail visant à réduire les volumes horaires.

La récession serait-elle l’accélérateur d’un processus inéluctable qui conduirait à l’avènement d’une société sans travail ? Elle met en tout cas en lumière une tendance structurelle de fond où l’emploi se transforme, se délocalise et semble se raréfier : « Le travail occupe une place de plus en plus mince dans notre vie, souligne le sociologue Jean Viard. Dans les années 1930, on travaillait 120 000 heures sur une vie. Aujourd’hui, on travaille 63 000 heures sur les 700 000 que nous vivons en moyenne. » Une réalité faite de contraintes, de flexibilité et de précarité. Mais qui révèle cet étrange paradoxe : cette société qui, à force de progrès techniques, tend à libérer l’homme du travail a, dans le même temps, fait de celui-ci le fondement même de l’épanouissement personnel et de l’intégration sociale. « Ce que nous avons devant nous, c’est la perspective d’une société de travailleurs sans travail, c’est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire » , prophétisait Hanna Arendt dans la Condition de l’homme moderne en 1958.

En sommes-nous arrivés là ? Bien avant sa disparition, en 2007, André Gorz en était convaincu. « Les gains de productivité sont tels que l’emploi est condamné à se rétrécir lentement et de manière continue. Si l’on veut éviter un chômage de masse croissant, la gestion de l’emploi doit donc aller vers une réduction drastique de la durée du travail » , écrivent Dominique Méda, philosophe, et Denis Clerc, le fondateur d’ Alternatives économiques , dans un ouvrage collectif [^3] consacré au penseur. Ils appellent pourtant à relativiser les thèses de Gorz. Au cours des dix dernières années, près de 4 millions d’emplois auraient été créés en France. Et « dans l’ensemble de l’Union européenne à Quinze, le nombre d’emplois a progressé de 16 % entre 1997 et 2007 ».
Reste pourtant qu’une récente étude de l’Insee révèle que 387 000 emplois marchands pourraient être détruits dans les six mois à venir…

[^2]: Métamorphoses du travail, Galilée, 1988.

[^3]: André Gorz, un penseur pour le XXIe siècle, La Découverte, 2009.

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