Sur la planète Marseille

Une déambulation comique
et poignante écrite
par Serge Valletti
et mise en scène
par Michel Didym.

Gilles Costaz  • 5 mars 2009 abonné·es

C’est une nuit à Marseille. Des copains parlent de tout et de rien dans leur appartement d’on ne sait quel étage et appellent des amis par la fenêtre. Ils palabrent beaucoup sur la vie des autres. Qu’y a-t-il de plus urgent que de raconter que telle fille s’est rapprochée de tel garçon ou qu’un mariage a lieu au coin de la rue ? L’un des copains garde le lit. Il a été opéré il y a trois ans ; qui sait, c’est peut-être dangereux de bouger un peu. Une jeune fille monte, brave gamine qui doit se méfier du désir de tous ces mâles. Léopold monte aussi, il apporte des œufs et sa gentillesse. Tous ces gens qui se parlent sans se répondre, mais non sans se comprendre, ne vont pas terminer la soirée sur place. Même l’impotent se décide à sauter du lit. Et les voilà partis pour une errance dans la ville endormie.

Au fil de la déambulation, deux des amis restent ensemble, la jeune fille se balade avec un soupirant qui la serre de près, le marié choisit de passer seul sa nuit de noce, un couple de faux fakirs va faire un peu de fausse magie… Pour la plupart, le problème est de trouver un bar. Puisqu’il y en a un de fermé, autant le fracturer pour qu’il distribue ses bières dans la nuit. Peu importe qui touchera l’argent. Peu importe la fureur du limonadier surgissant de l’obscurité et se mêlant à cette agitation incohérente de passants connus et inconnus. Un homme mourra à l’aube, mais l’on ne saura si cette fin de tragédie n’est pas une nouvelle plaisanterie dans ce tournis de palabres et de surprises où l’homme est sans cesse comiquement confronté aux lois de la solitude et de la fraternité.

Ainsi est Le jour se lève, Léopold , l’une des pièces majeures de Serge Valletti, dont Michel Didym a proposé au Gymnase de Marseille puis aux Célestins de Lyon et à présent en tournée (les Abbesses, à Paris, c’est pour bientôt) une nouvelle mise en scène. Le décor rugueux, approximatif, mal rangé, mal fini, a les lumières du cirque. Tout est un peu cabossé, disjoint, bancal, d’une manière trompeuse, parce qu’au bout du compte tout prend sa place et tout a sa noblesse. Ainsi écrit Valletti, qui aime les mots de la rue marseillaise, en reprend quelques-uns et les additionne à son propre langage, somptueusement bricolé. Ainsi met en scène Didym, qui conduit cette balade aux allures improbables – en réalité très probable, c’est celle de clochards célestes comme il en naît dans toutes les métropoles – avec le sérieux des entrées de clowns dont on ne sait de quel rire elles sont faites.
Tous les acteurs ont des types, des caractères, comme le veut la comédie. On dira qu’il y a les personnages aux bras cassés, joués par Alain Fromager, Quentin Baillot, Olivier Achard ; les plus actifs, Jean-Paul Wenzel, Christophe Odent, Guillaume Durieux ; les reines de la nuit, Alexandra Castellon, Catherine Matisse ; et un musicien du trottoir, Mathias Lévy. Mais tous sont fragiles, souvent en morceaux, merveilleusement humains.

Culture
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