Jeunes, largués et sans emploi

Alors que le taux de chômage des moins de 25 ans bat des records, les jeunes sans qualification sont touchés, plus que les autres, par la crise. Reportage dans une mission locale de l’Essonne.

Pauline Graulle  • 16 avril 2009 abonné·es
Jeunes, largués et sans emploi
© * Les prénoms des jeunes ont été changés.

Lire aussi en accès libre l’entretien de Pauline Graulle avec le sociologue Philippe Labbé, « La crise a bon dos » .

Quand on lui demande son niveau d’étude, Mégane* pouffe nerveusement. « J’ai arrêté l’école en 4e. Le seul diplôme que j’ai, c’est mon brevet de secourisme » , dit-elle en tortillant une mèche de ses cheveux noirs. Deux ans ont passé depuis que cette coquette jeune fille de 17 ans et demi s’est fait « virer » de son CFA coiffure. « Le salon marchait mal, et la patronne voulait licencier ses apprentis. Comme je suis arrivée trois fois en retard, c’est moi qu’elle a choisie. Mais, de toute façon, ça ne me plaisait pas » , lance-t-elle au conseiller de la mission locale qui la reçoit pour la première fois en entretien individuel. Depuis 2007, Mégane tue le temps dans son HLM, où elle vit avec son père, handicapé, et sa mère, caissière à Carrefour : « Au début, c’est bien de ne rien faire, mais ensuite, tu t’ennuies grave. » Récemment fiancée, à la recherche d’un appartement – « surtout pas dans une cité ! –, la voilà résolue à se mettre au boulot. Esthéticienne ou puéricultrice, si possible. Pôle emploi, où elle s’est inscrite pour « toucher les 500 euros que Sarkozy a promis aux jeunes », l’a envoyée à la mission locale de sa ville, Viry-Châtillon, dans l’Essonne. Une banlieue qui recèle des poches de misère, dont la cité de la Grande-Borne, célèbre depuis les émeutes de 2005.

Aujourd’hui, comme chaque mercredi, c’est l’heure de la réunion collective à la mission locale. Dans une salle déserte, un petit groupe écoute sagement – mais l’air pas franchement absorbé ­– ce que propose l’organisme en termes d’accompagnement vers l’emploi : ateliers CV, mises en situation d’entretiens d’embauche et, surtout, un suivi individuel régulier par un conseiller référent. Car, ici, le cœur du travail, c’est « l’écoute globale ». Une démarche conceptualisée par Bertrand Schwartz, le père fondateur de ces structures créées dans les années 1980, alors que le problème du chômage des jeunes commence à émerger sur la scène publique. Il s’agit d’aborder, avec le million de jeunes qui passent chaque année en mission locale, les difficultés d’accès à l’emploi, mais aussi problèmes familiaux, de santé, ou d’hébergement. Et ils sont nombreux. « Il y a quinze ans, on voyait surtout des toxicomanes. Aujourd’hui, les addictions au shit, à l’alcool ou aux jeux vidéos ont remplacé les drogues dures. Si le malaise est plus diffus, il est aussi plus large » , explique Bernadette Mesmin, responsable de l’antenne castelviroise de la mission locale.

Autour de la table de réunion, Melissa* vient d’arrêter le lycée professionnel. Franck*, après avoir échoué dans sa formation d’infographiste, a travaillé un an et demi comme caissier au supermarché Leclerc. Puis a fini par démissionner. « C’était un “30 heures hebdomadaires”, mais qui pouvaient être réparties sur six jours. Parce qu’il arrive que tu travailles deux heures le matin, que tu aies une “pause” de trois heures à midi, et que tu reprennes ensuite la caisse jusqu’à 20 heures. Résultat, tu es payé à peine 800 euros, et tu taffes comme un dingue » , raconte-t-il.

Si Franck a déjà eu un contact avec la dureté du monde du travail, ce n’est pas le cas de la plupart des jeunes qui fréquentent les missions locales. Âgés de 16 à 25 ans, ils n’ont souvent jamais passé la porte d’une entreprise. Certains ont été en grave échec scolaire dès le début du collège. Et, en attendant leurs 16 ans, ont réussi à sortir sans mal des mailles du système scolaire, errant de conseils de discipline en établissements où ils n’ont guère mis les pieds. Ceux qui n’ont jamais vu leurs parents travailler ignorent les règles de base de la vie professionnelle. Bernard, un retraité bénévole qui parraine depuis sept ans des jeunes de la mission locale de Viry-Châtillon, n’en revient toujours pas : « Ils ne savent pas comment se comporter face à un employeur ! Ils ne se rendent pas compte que, lorsqu’on n’a aucun diplôme à faire valoir, on n’est pas apte à se défendre sur le marché du travail. Quand je leur demande quelles sont leurs “prétentions salariales”, ils me regardent avec des yeux ronds. » Ou tombent des nues quand ils apprennent la valeur du Smic. « On accompagne un public qui n’arrive pas à se lever le matin, qui refuse toute hiérarchie, qui a du mal à respecter les contraintes en général. C’est grâce à la relation avec le conseiller que les jeunes arrivent, petit à petit, à entreprendre des démarches. Nous sommes un des derniers lieux à ne pas être
dans une logique de “donnant-donnant” : on accueille tout le monde, même si certains jeunes ne jouent pas le jeu ou ne viennent pas aux rendez-vous »
, explique Bernadette Mesmin.

Les « très petits niveaux », comme Mégane, sont plutôt encouragés à suivre une formation qualifiante. Les jeunes plus qualifiés, comme Franck, sont accompagnés vers un accès direct à l’emploi. Pour ce qui concerne les désirs professionnels, il y a les invariants : les filles qui voudraient obtenir un CAP « petite enfance », même si l’accès à cette formation est exigeant. Les garçons qui veulent devenir transporteur-routier, cariste, maître-chien, ou juste « avoir une vie normale ». Entrer dans l’armée ? L’uniforme alimente les rêves. Souvent, la consommation de cannabis rend pourtant le projet inaccessible. Et puis il y a les « modes » venues on ne sait d’où. « À une époque, les jeunes voulaient tous monter leur boutique de fringues. En ce moment, ils demandent à être orientés dans les métiers de l’aéroportuaire. Ils pensent que c’est une rampe de lancement pour devenir hôtesse de l’air ou steward » , sourit Bernadette Mesmin. Loin de leurs aspirations, l’avenir risque pourtant de se résumer à des emplois mal payés, souvent à horaires décalés ou éloignés de leur domicile. Des professions difficiles dans des secteurs où l’on a un besoin urgent de main-d’œuvre. Comme l’aide aux personnes âgées. Pas facile, quand on sort de l’adolescence, d’être quotidiennement confronté à la vieillesse et à la mort.
Reste que les missions locales continuent d’essayer d’accorder les désirs et la dure réalité du marché de l’emploi. Bon an, mal an. Car, depuis quelques années, dans ces structures financées à 55 % par les collectivités locales et à 40 % par l’État, les moyens manquent cruellement. Le gouvernement mise aujourd’hui davantage sur les opérateurs privés de placement (voir ci-contre) que sur le service public de l’emploi pour mettre les jeunes des quartiers au travail. À l’antenne de Viry-Châtillon, où trois conseillers reçoivent environ 700 jeunes par an, les ordinateurs manquent, et les jeunes n’ont pas accès à Internet. De même, l’enveloppe « chèques mobilité » a été réduite de moitié. Pas de distribution de tickets transports jusqu’au mois de juin.

La crise pourrait encore rajouter au malaise. Depuis janvier, le nord du département a vu la fréquentation des missions locales augmenter de 45 %. « On n’a jamais eu une variation aussi forte en si peu de temps, affirme Philippe Brousse, directeur adjoint de la mission locale Nord-Essonne. On voit revenir à la mission locale des jeunes qui avaient trouvé du travail en intérim et qui ont été licenciés. On constate également une évolution de notre public : moins jeune et plus diplômé. Les files d’attente aux rendez-vous ne cessent de s’allonger, et cela attise la colère. Pour l’instant, on arrive à absorber toutes les demandes, mais pour combien de temps ? »

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