La chanson sé tan nou

Dans le cadre de Kréyol Factory, exposition sur la créolité, la Grande Halle de la Villette organise trois week-ends musicaux, sous le signe de la fête et de la lutte.

Denis Constant-Martin  • 9 avril 2009 abonné·es

Dans les manifestations qui ont parcouru ces derniers mois la Guadeloupe et la Martinique, tambours et voix étaient ­omni­présents. On y entonnait l’hymne du mouvement, « la Gwadeloup sé tan nou », et d’autres chants encore. Au nombre des associations membres du Liyannaj kont pwofitasyon (LKP), figurent Akiyo, de Pointe-à-Pitre, et Voukoum, de Basse-Terre : deux groupes dont l’activité est largement musicale et qui sont impliqués dans les carnavals locaux. Cette présence de la musique dans le mouvement social est l’aboutissement logique de liens qui se sont tissés depuis la fin des années 1960.

Alors qu’en 1968 les militants du Groupement des organisations nationalistes de la Guadeloupe (Gong) étaient condamnés à Paris, Guy Konkèt commençait à réhabiliter le gwo-ka . Genre associant chanteurs, danseurs et tambours, il avait été conservé dans les campagnes quand la bienséance urbaine lui préférait les biguines alanguies et les chansons doudous. Quelques percussionnistes battaient encore jusque dans les faubourgs, comme Vélo et Carnot, des chanteurs de veillée tels Robert Loyson et Germain Calixte conservaient les répertoires anciens, mais ils étaient ignorés ou méprisés par la bonne société. Guy Konkèt entreprit d’adapter le gwo-ka au moment historique : sur les sept rythmes classiques, ses paroles disaient les manques et les aspirations des années 1970. En même temps, Gérard Lockel, guitariste de jazz, revenait de Paris pour s’installer à Baie-Mahault ; il y ouvrait un lieu de formation et y rédigeait une méthode de gwo-ka modèn  ; en liaison avec le renouveau du créole, l’un et l’autre favorisèrent l’éclosion d’une nouvelle génération de musiciens. La Martinique, avec Francisco, Eugène Mona, la résurgence du bélè , et la Réunion, avec la remise à l’honneur du maloya par le Parti communiste réunionnais, connurent des évolutions similaires.

Les mouvements indépendantistes semblèrent s’étioler après les années 1980 ; les îles parurent ­sombrer dans les délices de la surconsommation importée et se satisfaire du cautère des transferts sociaux placés sur le développement entravé de l’économie locale. Mais les musiciens persistèrent. D’un côté, le zouk prolongeait, avec plus d’ardeur, la biguine, sans toujours rompre avec son doudouisme exotisant ; de ­l’autre, gwo-ka, bélè et maloya ouvraient le champ à toutes sortes de créations où s’affirmait une claire volonté d’autonomie culturelle, qui s’instillait progressivement dans les esprits et préparait le terrain pour une prise de conscience plus politique.

En 2009, on se souvint que Gérard Lockel, dans son Chanté nasyonal Gwadeloup, avait averti : « Gwadloup an danjé, Nou pé pa rété konsa, Fo nou mèt tout’ fòs an nou, Adan on sèl konba » (la Guadeloupe est en danger, nous ne pouvons pas rester comme ça, il faut mettre toutes nos forces dans un seul combat)… Les concerts de Mizik Factory tombent donc à point pour faire entendre les fiertés que la musique a nourries. Valérie Louri de Martinique ; Soft (10 avril) et K’Koustik (17 mai) de Guadeloupe ; Danyel Waro de la Réunion (7 juin) en seront les hérauts, à côté d’artistes venus de Jamaïque, d’Haïti et de la République dominicaine.

Culture
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