Le marché des jeunes des cités

L’opérateur privé de placement Ingeus accompagne les jeunes des quartiers vers l’emploi. Bien loin des méthodes des missions locales.

Pauline Graulle  • 16 avril 2009 abonné·es

La moquette est épaisse, et les cafés gratuits à volonté. Dans l’open-space de l’agence Ingeus, une dizaine de jeunes pianotent sur des ordinateurs flambant neufs. Sur la plaquette de présentation, le slogan s’affiche : « Avec nous, c’est du sérieux ! » Cet opérateur privé de placement a débarqué en octobre à Juvisy (Essonne), à une poignée de kilomètres de la mission locale de Viry-Châtillon (voir ci-contre). Mais chez Ingeus c’est un tout autre décor. D’autres méthodes aussi. Après avoir conquis l’Angleterre, cette multinationale australienne, créée il y a vingt ans, a raflé l’appel d’offres de marché public lancé par l’État pour mettre en route les « contrats d’autonomie », mesure phare du « plan espoir banlieue » lancé début 2008 par Fadela Amara. Seuls deux petits « lots » du marché public sur 35 (La Réunion et Mulhouse) sont tombés dans l’escarcelle des missions locales. 10 500 jeunes habitant les cités de l’Essonne, du Val-de-Marne, de Lille ou de la région lyonnaise passeront en revanche entre les mains d’Ingeus France dans les trois années à venir. Soit un quart des 16-25 ans ciblés par le contrat d’autonomie.

Afin d’ « aller chercher les jeunes dans les cages d’escalier » pour les mettre au boulot, Ingeus a sorti la grosse artillerie : pubs dans les boîtes aux lettres, tractage aux abords des centres commerciaux, blog, numéro Vert… Et a fait jouer ses atouts séduction, comme cette bourse de 300 euros mensuels versée à tout jeune en recherche active d’emploi. Surtout, celui-ci bénéficiera d’un « coaching renforcé » plusieurs fois par semaine. Son coach s’efforcera de « booster son énergie » pour l’aider à trouver un travail, une formation qualifiante, ou à créer son entreprise. Au plus vite.
Car, comme tous les autres organismes sélectionnés par l’appel d’offres, Ingeus, qui n’a que six mois pour placer les jeunes, est payé au résultat. Grassement. « ça coûte moins cher qu’un jeune au chômage » , plaide Sylvia Sahé, la dynamique responsable des agences de l’Essonne et du Val-de-Marne. Mais bien plus cher qu’un accompagnement par la mission locale. Un jeune ayant signé le contrat Civis proposé par le service public de l’emploi « coûte » ainsi en moyenne 1 200 euros aux contribuables. Ils doivent débourser 6 000 euros pour toute « sortie positive » d’un jeune d’Ingeus. « À la mission locale, on voulait de l’autonomie, moins d’administratif, et plus d’argent. Bref, tout ce qui a été accordé à Ingeus : chez nous, chaque conseiller suit en moyenne 120 jeunes ; chez eux, il y a un coach pour 40 jeunes » , note Philippe Brousse, à la mission locale Nord-Essonne.

Le jeu en vaut-il la chandelle ? Si en théorie les publics ciblés sont les mêmes que dans les missions locales, « les opérateurs privés de placement ne sélectionnent que le haut du panier, fait valoir un directeur de mission locale. Ne serait-ce que parce que les jeunes qui sèchent un rendez-vous sont illico rayés des listes ». À Ingeus, on assure qu’ « on ne prend pas les meilleurs, mais les plus motivés ». Une manière douce de dire que l’on préfère n’y voir que les jeunes les plus proches de l’emploi…
Reste qu’au 30 mars 2009, sur les 6 507 contrats d’autonomie signés, 225 jeunes ont trouvé un emploi. Pas de quoi pavoiser. « Le dispositif est mis en place depuis peu, et beaucoup de jeunes sont aujourd’hui en phase de coaching » , plaide-t-on au cabinet de Fadela Amara.
Mais s’il n’est pas encore démontré que la culture du résultat est plus efficace que la culture de service public, pas de doute que le gouvernement saura faire œuvre de pédagogie pour nous en persuader.

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