Un fonds de placement stratégique

Destiné à soutenir les entreprises dans le cadre du plan de relance, le Fonds stratégique d’investissement s’est transformé en repaire d’amis du Président.

Thierry Brun  • 2 avril 2009 abonné·es
Un fonds de placement stratégique

Lancé en grande pompe par Nicolas Sarkozy à Montrichard (Loir-et-Cher) devant les ouvriers de l’équipementier aéronautique Daher, le Fonds stratégique d’investissement (FSI) n’a que quatre mois d’existence et se distingue déjà par ses dérives. En cause, le recrutement. Créé à l’automne dernier, le FSI, une société anonyme filiale à 51 % de la Caisse des dépôts (CDC), a désormais dans ses rangs une armée mexicaine composée de proches du Président. La manne de 20 milliards d’euros d’argent public dont dispose ce fonds, l’un des vingt premiers investisseurs de « long terme » à l’échelle mondiale, y est sans doute pour quelque chose.
Le nom de Thomas Devedjian est apparu dès les premières nominations annoncées le 12 mars. Propulsé directeur adjoint, il n’est autre que le fils de Patrick Devedjian, ministre de la Relance et tutelle du FSI. La neutralité requise en prend un coup, car Patrick Devedjian est aussi président UMP du conseil général des Hauts-de-Seine et, à ce titre, « très intéressé par l’avenir du patrimoine immobilier et foncier d’Icade, filiale de la CDC susceptible d’être apportée au FSI » , selon Jean-Philippe Gasparotto, secrétaire CGT du comité de groupe de la CDC.

Illustration - Un fonds de placement stratégique

La ministre de l’Économie Christine Lagarde avec Patricia Barbizet, du FSI, et Augustin de Romanet (à côté de celle-ci), de la CDC. Guillot/AFP

Thomas Devedjian affiche pour sa part un parcours de zélé militant politique : de 1999 à 2006, il a été conseiller technique au cabinet des ministres des Finances successifs, Nicolas Sarkozy, Hervé Gaymard et Thierry Breton. Et, avant d’intégrer le FSI, il était directeur adjoint du fonds d’investissement Eurazeo. « Or, c’est Eurazeo qui, de concert avec Colony Capital [un fonds d’investissement américain privé], v ient de soutenir un véritable putsch au sein de la gouvernance du groupe Accor, notamment, contre la Caisse des dépôts, un de ses actionnaires principaux, ce qui a entraîné la démission en fanfare d’Augustin de Romanet, directeur général de la CDC et ­membre du conseil d’administration du FSI. Le risque de conflit d’intérêts n’est donc pas à exclure » , note Jean-Philippe Gasparotto.

De forts soupçons pèsent donc sur les choix politiques et économiques du FSI, ainsi que sur son autonomie vis-à-vis de l’Élysée ou de Matignon, si l’on ajoute aussi le cas de Patricia Barbizet. Nommée présidente du comité d’investissement du FSI par Nicolas Sarkozy, celle-ci est toujours administratrice et directrice générale d’Artemis et de la Financière Pinault, dont on connaît la proximité avec le président de la République. On imagine aisément quels intérêts défendra cette administratrice de nombreuses entreprises du CAC 40 pour le compte du groupe Pinault.
Les amis du Président ont ainsi validé la première décision du FSI, venue directement de l’Élysée. Avant même la création du fonds, normalement destiné à soutenir les entreprises hexagonales en difficulté face à la crise, Nicolas Sarkozy a annoncé un apport de 85 millions d’euros dans le capital de l’équipementier aéronautique Daher. Un savant montage a depuis réuni le FSI et des fonds d’investissement spécialisés (Aerofund) pour injecter dans l’urgence 80 millions d’euros de capital dans une entreprise qui n’est pas vraiment en difficulté puisqu’elle a triplé de taille en cinq ans et pronostique une croissance de 5 % en 2009…

L’argent provient de la décision d’imposer au FSI de disposer de 6 milliards d’euros de cash, ce qui contraint la CDC à liquider certaines de ses filiales. « Ainsi, Icade, filiale immobilière de la CDC, a annoncé son intention de céder la totalité de son parc de logements résidentiels à vocation sociale, probablement dans le but d’amener du cash au FSI… Et ce, au mépris des locataires, des élus locaux d’Île-de-France et des personnels » , souligne Jean-Philippe Gasparotto.

Par ailleurs, Jérôme Gallot, président de CDC Entreprises, une autre filiale importante œuvrant dans le domaine du soutien à l’investissement productif des PME, vient tout simplement d’être intégré au comité exécutif du FSI, sous les ordres de son directeur général, Gilles Michel, et de l’Élysée. L’argent public est entre de bonnes mains…


Les choix troublants du FSI

Le sous-traitant automobile Heuliez (mille  emplois menacés) attend encore les explications du directeur général du Fonds stratégique d’investissement (FSI), Gilles Michel, et l’engagement de Nicolas Sarkozy. Jusqu’ici membre du directoire du constructeur automobile PSA Peugeot Citroën et directeur général de Citroën, le dirigeant du « fonds souverain à la française » a rejeté le projet de voiture électrique déposé par Heuliez, estimant qu’il ne « garantissait pas la pérennité » de l’entreprise. Le motif a jeté le trouble, y compris dans les rangs de la majorité présidentielle, car la décision apparaît en contradiction avec le discours du gouvernement ainsi qu’avec les plans de soutien à l’industrie automobile et au véhicule électrique. Mais voilà, Renault, PSA et d’autres groupes ont leurs propres projets de voitures électriques… Coïncidence : si Heuliez est au bord de la cessation de paiement, c’est aussi parce que PSA lui a retiré sa clientèle, ce qui n’a pas échappé à Gilles Michel.
En revanche, le FSI, à la demande de Nicolas Sarkozy, a acquis une participation dans l’équipementier Valeo. Désormais, le fonds souverain détient, conjointement avec la Caisse des dépôts, 8,33 % du capital d’une entreprise qui a perdu 207 millions d’euros en 2008 et devrait verser à Thierry Morin, son ex-PDG, un parachute doré de 3,2 millions d’euros. Sans que l’État puisse s’y opposer, contrairement à ce qu’ont affirmé Nicolas Sarkozy et François Fillon. En tout, 219 millions d’euros sont investis par le FSI (19 millions) et le Fonds de modernisation des équipementiers automobiles, alors que Valeo a annoncé en décembre la suppression de 1 600 emplois en France. En réalité, l’opération est destinée à dissuader le fonds d’investissement américain Pardus d’une éventuelle OPA, ce qui n’a pas grand-chose à voir avec la défense de l’emploi industriel.

T. B.

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