Alévêque, amuseur abuseur

Sans la moindre concession, Christophe Alévêque est aujourd’hui l’un des artistes qui font de l’humour un compagnon de l’engagement. Furieusement drôle.

Jean-Claude Renard  • 18 juin 2009 abonné·es

À la sèche question : « Qu’est-ce qui vous a le plus agacé dans les deux années de présidence de Nicolas Sarkozy ? » , la réponse de Christophe Alévêque est non moins sèche : « Les deux ans ! » Et de joindre le geste à la parole. Le 7 mai dernier, le comédien humoriste s’est posté devant le Fouquet’s, avenue des Champs-Élysées, lieu hautement symbolique de la victoire de Sarkozy, pour fêter l’anniversaire de « Zébulon Ier » . Alévêque cingle le bling-bling, l’argent à flots, « le génie de Neuilly » , et ponctue son discours par un lancer de parachutes dorés confectionnés maison, de colombes en plastique et de liasses de billets de 500 euros, à l’effigie d’un Sarkozy rayonnant. « Du pognon, et encore du pognon ! » Au verso du biffeton, Sarkozy et Carla Bruni en maillot de bain, Sarko à la pagaie et le yacht de Bolloré. Au gré des ponctuations, Alévêque entonne : Enrico Macias, « Ah ! qu’elles sont jolies, les filles de Sarkozy » , pour finir sur le « nouvel hymne de la droite décomplexée » , Mireille Mathieu et « Donnez-nous mille colombes ».

En 2008, le comédien avait déjà célébré le premier anniversaire devant cette annexe de l’Élysée, dans un pareil « mouvement de résistance ludique » . À vrai dire, « Sarkozy au Fouquet’s, le soir de son élection, c’est : “Je vous emmerde !” » Et c’est la seule promesse qu’il a tenue !
Dans la machine à broyer d’Alévêque, tendrement irascible et irrité, tout et tout le monde y passe. La politique, la religion, la femme, l’homosexualité ou encore le quotidien rongé par ses perturbations inutiles, à travers une pile de textes ciselés. Sujet, verbe et complément tonique. Gaudriole d’adjectifs. Un exemple parmi d’autres : « Qu’est-ce qu’une religion, sinon une vaste rumeur persistante ? ! Au début, au tout début : pas de papier, pas de crayon, pas de sténo. Rien ! T’as un envoyé divin qui répète les paroles d’un Dieu le Père que personne n’a vu, sinon lui. Après, tu as une poignée de témoins première bourre : les ­apôtres, qui répètent ce qu’ils ont entendu, mais de tête ! Après, il y a ceux qu’on appelle les gens d’Église, qui interprètent les paroles des ­apôtres, mais toujours de tête ! Et après, il y a les croyants, c’est le cas de le dire… Qui, au lieu de croire en eux, répètent les paroles des gens d’Église au con moyen, nous, qui n’a rien compris mais, comme il est con et moyen, il va à son tour répéter les paroles des croyants qui répétaient les paroles des gens d’Église, qui répétaient les paroles des apôtres, qui répétaient les paroles des Évangiles répétant les paroles de son pater. Si ça, ce n’est pas la définition d’une rumeur persistante ! »

Réflexion suivante, sur Laurence Parisot, qui « a découvert qu’il existait des caisses noires à l’IUMM. La même semaine, elle découvrait le fil à couper le beurre et l’eau tiède ! » Autre exemple, sur le tri sélectif, parfaitement acquis : « Les papiers se jettent dans la poubelle jaune, les sans-papiers par la fe­nêtre ! » Rien et tout le rend perplexe, Alévêque. « Je ne comprends plus les homosexuels, qui ont réclamé le droit à la différence pendant des années. Et qui après toutes ces luttes dures et acharnées réclament le droit de se marier ! Ils feraient mieux d’inventer un nouveau mode de vie à deux plutôt que de répéter une histoire judéo-chrétienne d’hétéros en déroute… »

Alévêque est un amuseur abuseur, sur scène et ailleurs. « Quand on est bouffon, observe-t-il, on peut se permettre beaucoup de passe-droits qu’un quidam ne pourrait pas formuler. » De quoi cingler sérieusement, sans se ­prendre au sérieux. Avec du fond, une écriture, un engagement. Une prise de risque aussi. « À partir du moment où l’on n’est pas consensuel, on ratisse moins large, le public est moins nombreux et l’on vend moins de DVD ! Mais c’est un choix. Je ne me suis jamais posé la question. » Buté, Alévêque. Qui refuse les fripons et la fripouille. « On peut attaquer violemment le pouvoir en face, en y mettant les formes. C’est là où la frontière est serrée, entre le sérieux, la déconnade, l’humour, la politique. On est toujours sur un fil. D’autant que la politique est devenue un spectacle. Les choses ont bougé. Je ne me gêne plus pour parler de façon crue et violente. Car leur politique est violente, leur communication agressive et l’étalage de leur vie privée d’une vulgarité confondante. Eh bien, je me mets au diapason. Je leur renvoie dans la gueule ce qu’ils nous envoient. C’est exactement la réaction que peuvent avoir les ouvriers quand on leur parle de respect. Ça crée forcément de la violence. »

Le discours ciblé de Christophe Alévêque, qui introduit dans ses spectacles une revue de presse, à la manière de Guy Bedos, a son prix. « On se fait des ennemis, il y a des endroits où l’on n’est jamais invité. Il existe aujourd’hui dans les médias une vraie censure, sournoise, déguisée et sans respon­sable. » Procédés courants : le gouvernement appelle le CSA, qui appelle la chaîne, qui appelle le producteur, qui s’adresse à l’artiste. Il n’y a jamais de lien direct. Le mot censure n’est jamais prononcé. « La méthode consiste aussi à imposer des horaires qui n’ont aucun sens. En même temps, ils sont obligés de garder des espaces de liberté, sinon, c’est trop voyant. Avec des cautions pas trop dangereuses. Pas de couilles, pas d’embrouille ! Mais parallèlement, l’humour engagé reprend du terrain, parce que les gens en ont besoin, physiquement. On le sent sur scène. Ils savent qu’ils ne sont pas seuls à penser ce qu’ils pensent. » Autant de raisons de poursuivre cette route. À la fin de son spectacle, Christophe Alévêque et ses musiciens entonnent « Sans la nommer », la chanson de Moustaki sur la révolution permanente. Une façon d’aller au bout de ses idées.

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