Des rapports de force chamboulés

Derrière l’apparente victoire de l’UMP, les élections européennes dessinent de nouveaux rapports de force dans une opposition dispersée, avec une gauche de gauche qui pourrait peser.

Michel Soudais  • 11 juin 2009 abonné·es

En France, les élections européennes sont souvent imprévisibles. Le scrutin du 7 juin, marqué par un nouveau record de l’abstention (59,36 %) n’a pas démenti ce constat. Si l’UMP s’en tire bien, après deux ans de présidence Sarkozy, le paysage de l’opposition est bouleversé. Les listes Europe Écologie créent la surprise au détriment du PS – mais aussi du MoDem –, qui subit une défaite mémorable. Enfin, le haut niveau des scores cumulés des listes de la gauche de gauche et les résultats du Front de gauche, qui devance le NPA, donnent raison aux partisans de l’unité de la gauche anticapitaliste.
L’UMP, qui, avec 27,9 %, obtient 30 élus, ne s’attendait pas à une « victoire » si nette. Raison pour laquelle l’élection imprévue de Brice Hortefeux l’embarrasse : troisième de liste dans la circonscription Massif-central-Centre, le ministre des Affaires sociales doit choisir entre le gouvernement et Strasbourg. Pour autant, et même si c’est la première fois – hors cohabitation – depuis 1979 que le parti au pouvoir arrive en tête d’une élection intermédiaire, comme n’ont pas manqué de le souligner ses dirigeants, l’UMP aurait tort de plastronner. Elle l’emporte, mais par défaut. Face à une opposition dispersée, ces listes qui rassemblaient tous les soutiens du gouvernement n’ont été soutenues que par 10,9 % des inscrits. Difficile de voir dans ce score une adhésion à la politique de Nicolas Sarkozy, qui s’était pourtant impliqué fortement dans la campagne. Le total à droite (UMP-NC, Libertas, Debout la République) réunit quelque 35 % des voix, quand la gauche et les écologistes (PS, Europe Écologie, Front de gauche, NPA, LO) en totalisent plus de 45 %.

La faiblesse du PS, qui ne rassemble que 16,48 % des suffrages, est historique. Jamais depuis 1994, année où la liste conduite par Michel Rocard avait obtenu 14 %, les socialistes n’étaient tombés aussi bas. Exprimé en sièges, le recul du PS est encore plus sévère : il perd 16 des 30 sièges qu’il détenait au Parlement européen. La déroute socialiste, qui sanctionne un double discours permanent sur ­l’Europe sociale, est d’autant plus cuisante que le PS ne compte que 34 700 voix d’avance sur les listes d’Europe Écologie (16,28 %), qui apparaît comme le grand gagnant des élections de dimanche.
Symbole de sa débâcle, le PS se classe troisième à Paris (14,7 %), très loin derrière l’UMP (30 %) et Europe Écologie (27,5 %), un an après la confortable réélection du maire Bertrand Delanoë. Le parti dirigé par Martine Aubry n’arrive en tête que dans l’Ariège, le Pas-de-Calais et les Landes. Ne profitant pas du contexte de crise et de hausse continue du chômage, les socialistes sont devancés par Europe Écologie dans de nombreuses grandes villes (Bordeaux, Rennes, Rouen, Aix-en-Provence, Perpignan, Toulon, Nantes).

Autres grands perdants : le MoDem n’obtient que 8,45 %, loin des ambitions de François Bayrou, qui avait mené une campagne violemment anti-Sarkozy ; enfin, le Front national poursuit son déclin (6,34 %) et n’obtient que 3 élus.
Si la gauche du « non » ne parvient pas à rééquilibrer la gauche, les scores cumulés du Front de gauche et de l’extrême gauche, à plus de 12 %, est une épine supplémentaire dans le pied du PS, tenté par une alliance avec le MoDem. Dans cette gauche radicale, le Front de gauche (6,05 %, hors Dom-Tom où le communiste réunionnais Élie Hoarau est élu avec 73 000 voix et 21 %) devance le NPA (4,88 %). L’élection de 4  autres députés européens, Jacky Hénin (PCF, réélu dans le Nord-Ouest), Patrick Le Hyaric (PCF, qui succède à Francis Wurtz en Île-de-France), Marie-Christine Vergiat (associative, Sud-Est) et Jean-Luc Mélenchon (PG, Sud-Ouest), sanctionne une campagne de terrain. Initiateurs du Front de gauche, le PCF et le PG, qui avaient été rejoints par la Gauche unitaire issue du NPA, sont parvenus à rassembler localement des fédérations du MRC en désaccord avec l’abstention prônée par Jean-Pierre Chevènement, des collectifs antilibéraux, des écologistes radicaux…

Si la campagne du Front de gauche n’est pas parvenue à faire reculer l’abstention dans les quartiers populaires (voir encadré), ses animateurs regrettaient dimanche que le NPA ait refusé de rejoindre ce rassemblement. « On aurait été en mesure de créer la surprise de la soirée », notait Jean-Luc Mélenchon. Dans la plupart des départements, les scores réunis du Front de gauche et du NPA dépassent en effet les 10 %. Dans l’Aisne, les Alpes-de-Haute-Provence, l’Ardèche, les Bouches-du-Rhône, les Côtes-d’Armor, les Landes, le Nord, la Meurthe-et-Moselle ou le Tarn-et-Garonne, leur score cumulé se situe autour de 13 % ; 14 % dans l’Indre, le Puy-de-Dôme et le Tarn ; 15 % dans l’Aude ; 16 % en Corrèze et en Dordogne ; 17 % dans l’Allier, l’Ariège, le Cher et la Vienne ; 18 % dans la Creuse !
La « gauche de gauche » n’est pas une portion congrue des forces électorales. Reste à faire son unité.

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