Groland, comme la fraise Tagada…

Tête d’affiche de « Groland Magzine », Moustic est le porte-parole d’un journal politiquement incorrect, adepte du sourire plutôt que du rire, à placer au rayon de l’absurde.

Jean-Claude Renard  • 18 juin 2009 abonné·es

Le 9 mai dernier, Jules-Édouard Moustic ouvrait son journal télé du « Groland Magzine » par cette information : « Cela fait maintenant 176 jours que Julien Coupat joue le rôle du Oussama Ben Laden français sans avoir rien fait à la tour Montparnasse, ni à rien d’autre. En même temps, si Sarkozy était Obama, ça se saurait ! L’actualité, ça n’est bien sûr pas l’anniversaire des deux ans du peanuts justement, mais bel et bien les 40 ans de la fraise Tagada, qui, elle, a marqué l’histoire. Quand on y a goûté, on ne peut plus s’en passer, contrairement à l’autre ! » Autre remarque du Groland sur l’incarcération de Julien Coupat : « Un droit de cuissage pour Michèle Alliot-Marie sans doute ! » Et une autre information exclusive : « Quand on parle des patrons, il faut faire un distinguo. Il y a les patrons voyous, mais aussi les patrons pourris, sans oublier les fumiers, ni les patrons enculés. Et autant d’autres qualificatifs plus ou moins fleuris. »

D’un reportage et d’une « courte brève » à l’autre, présenté par Moustic, « Groland Magzine » tacle les services à la personne, la fête des mères, les plans sociaux, la Thaïlande et l’Autriche, « terres de vacances à pas cher pour les pédophiles » , la politique d’immigration, la pipolisation des politiques. À l’occasion, il réhabilite « le mot “pédé” parce que, justement, le terme homo fait trop pédé » . Et du coup, provocateur, renchérit en commentant les images de « Louis et Pierre qui sont pédés. Ils ­détestent les animaux. Ils sont pédés, détestent les animaux, ils fument de la drogue. Ils sont pédés, détestent les animaux, fument de la drogue, ils adorent picoler et baisent avec un Arabe de banlieue… Devant le portrait de Benoît XVI. Et pour se laver de tous leurs péchés, ils baisent sans capote ! »

Et le journal de poursuivre sur les dernières mesures gouvernementales : pour dissoudre les bandes de jeunes dans les cités, « la diffusion d’une chanson de Christophe Maé, suivie de la diffusion d’odeurs : un extrait de jus de chaussette de Xavier Darcos mêlé à un extrait d’haleine de Brice Hortefeux, auquel on rajoute un extrait de Jean-Marie Bigard ».

Dans le paysage médiatique édulcoré, l’univers de la Présipauté de Groland, dont la réalité parvient à la face du monde à travers son journal télé, détonne. Avec son poids de justesse dans le trait grossi. Un univers porté par une bande de joyeux drilles irrespectueux, en dehors du bal des dupes, auquel le philosophe « Bernard Henry Siné » ajoute quelques sentences comme des notes de bas de page. « J’ai la chance d’être là où j’ai envie d’être, reconnaît Moustic. J’y trouve mon compte. Mais, en dehors de mon cas personnel, la liberté d’expression, on l’a toujours eue. Même La Fontaine l’avait. Imaginons que j’appelle Teckel le président de la République, que je dessine et parle du Teckel en me foutant de sa gueule. Ce ne sera évidemment pas agrémenté de gros mots, ni de reprises de ses discours. Mais il saura que le Teckel, c’est lui. Le public averti aussi. Il s’agit d’utiliser les métaphores, les images. Pour autant, s’il existe encore une liberté d’expression, il existe aussi une manière de faire taire les gens : en supprimant les programmes, en déplaçant les cases horaires. »

À Groland, Moustic est un entonnoir, représentant en bout de courses six auteurs. Adepte plutôt du sourire que du rire, il est monté pour la première fois sur scène au théâtre du Rond-Point en décembre dernier. Pour parler de politique à sa manière, au sens de la vie de la cité de tous les jours. Évitant l’attaque systématique, le duel frontal, et se plaçant au rayon absurde, son credo, non dépourvu de sens, à travers une série de petites scènes anecdotiques. Sans manquer de charge poétique. « Je préfère m’écarter du rentre-dedans grande gueule, de la fanfaronnade, au profit de la subtilité, de la finesse. Entre l’humour et la politique, il s’agit de lire entre les lignes. Sarkozy utilise l’agressivité frontale, vient sur le terrain propre à certains humoristes pour justement les banaliser. D’où la volonté de répliquer par l’absurde. On peut répondre par un peu plus d’écriture, de clins d’œil. Tout l’enjeu est d’être plus subtil que les politiques. Dans cet exercice, la réaction est plus lente que l’action. Elle demande du recul pour mieux analyser. Les meilleurs sketches politiques, à mon sens, sont ceux qui sont écrits, racontent une histoire. »

Moustic ne fixe pas de date, mais reviendra sur scène en 2010. De façon intempestive, à sa manière. « Parce que maintenant qu’on y a goûté, c’est comme la fraise Tagada. On ne s’en passe plus ! » C’est pas comme l’autre. En attendant, il se remémore encore ce sketch irlandais hilarant de « Father Ted », avec un pape banjo dans le dos, le corps marqué par les cordes de l’instrument. Il passe, repasse devant une fenêtre donnant sur le parvis de Saint-Pierre. La foule hurle ses vivats. Waouh ! Le bras droit du pape déboule alors : « Il est là ! Il est là ! Il est revenu ! » « Mais qui ? De qui parles-tu ? », interroge le pape, repassant devant la ­fenêtre, soulevé encore par les vivats hystériques de la foule. « Mais Il » , répond le bras droit. « Comment ça, Il ? » « Jésus ! » , répond le bras droit à voix basse. Le pape s’arrête. Il est vert. « Ah ! Putain ! Va planquer les Rolls qui sont sur le parking ! »

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