Hystérie médiatique

Denis Sieffert  • 2 juillet 2009 abonné·es

Rassurez-vous, je ne vais pas vous parler longuement de Michael Jackson. Mais un peu quand même. Car sa mort, et ce qu’en ont fait les médias, doit nous inspirer quelques réflexions. Comme s’il fallait exploiter le filon le plus longtemps possible après les évocations et les rétrospectives, étirer l’événement pour en extraire les derniers profits, voici venu le temps des fausses interrogations : qui a tué Michael Jackson ? La question en rappelle une autre, posée il y a bien longtemps – ce devait être au milieu des années 1960 – dans une chanson de Bob Dylan : « Qui a tué Davey Moore ? » Moore était un boxeur tombé sous les coups de son adversaire, pour beaucoup plus que le compte, pour l’éternité. Et la chanson disait : « Qui a tué Davey Moore ? Ce n’est pas moi, dit l’arbitre […], ne me montrez pas du doigt !/Bien sûr j’aurais pu le sauver si au huitième j’avais dit “assez”/Mais la foule aurait sifflé/Ils en voulaient pour leur argent. » Et le troubadour égrenait : « Qui a tué Davey Moore ? […] Ce n’est pas nous, dit la foule en colère. […] Ce n’est pas moi, dit son manager tirant sur son gros cigare. […] Ce n’est pas moi, dit le journaliste… » La foule avide, le producteur mercantile et les créanciers, le père tyrannique, le médecin qui le chargeait de toutes les substances du monde : qui a tué Michael Jackson ? Comme dans la chanson de Dylan, c’est tout le monde et personne. C’est une société hystérisée. Un système sans foi ni loi. On achève bien les chevaux. Et la fausse interrogation – puisque tout le monde connaît la réponse – fait partie du problème. On ne lui voit guère d’autre utilité que de continuer à faire vendre du papier sur le cadavre d’un homme que l’on a du mal à voir autrement que comme une victime.

Mais la mort de Michael Jackson s’est aussi accompagnée d’un scandale démocratique. Nous avons sans doute été nombreux au soir de ce 26 juin à être frappés de consternation quand nous avons entendu nos présentatrices de journaux télévisés annoncer péremptoirement : « Ce soir, un titre unique à ce journal… » Et promesse tenue ! À 20 h 30, le rideau est tombé sur l’actualité du monde sans qu’un seul autre sujet ne soit évoqué. Avait-on seulement agi de la sorte au soir du 11 septembre 2001 ? Ou lorsque le mur de Berlin est tombé ? Les historiens de l’information nous le diront. Mais, quoi qu’il en soit, ces événements étaient annonciateurs de conséquences autrement importantes pour le reste du monde. Entendons-nous bien, la disparition de Michael Jackson est un événement. Même ceux qui ne se sont jamais pâmés devant le clip de « Thriller », ou qui n’ont pas été fascinés par le « moonwalk », cette marche désarticulée à reculons qu’il avait empruntée au mime Marceau, ne peuvent pas rester étrangers au phénomène de société. La folie qui a très tôt entouré cet homme, puis l’a envahi au point qu’il s’est toujours voulu un autre que lui-même, est trop de notre temps pour qu’on s’en désintéresse. Mais, tout de même, voulez-vous savoir tout ce qu’on ne nous a pas dit ce soir-là ? Ce soir où soudain l’Iran n’existait plus. Et pourtant, après deux jours de quasi-silence, l’opposition s’était réunie par petits groupes dans l’un des cimetières de Téhéran et des chandelles avaient été posées sur la tombe d’une jeune femme abattue d’une balle dans la poitrine, le samedi précédent.

La mort de Neda Agha-Soltan avait été filmée par un vidéaste amateur. En quelques jours, elle est devenue le symbole des victimes de la répression. Ce même vendredi 26 juin, un grand quotidien « réformateur » notait qu’Ahmadinejad aurait de toute façon le plus grand mal à obtenir la confiance du Parlement. Comme si l’opposition se déplaçait progressivement de la rue vers le champ politique. Au Liban, événement rarissime, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a rencontré Saad Hariri, leader sunnite chargé de constituer un gouvernement qui pourrait être d’union nationale. Et pour ne pas quitter la région, cet autre événement non négligeable qui confirme l’effet d’entraînement de la diplomatie américaine : le G8 s’est prononcé pour le gel des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens. Cela, deux jours après que Nicolas Sarkozy eut fait pour la première fois la même demande au Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou [^2]. Mais, vendredi, la France a aussi démontré qu’elle était toujours prête à accepter d’Israël des choses qu’elle n’accepterait de nul autre pays. Une diplomate française brutalisée par des policiers israéliens, au lendemain d’insultes visant un autre agent diplomatique français, et quelques mois après que l’appartement d’un agent consulaire français à Gaza eut été mis à sac et couvert d’excréments par des soldats. Tout cela a inspiré au porte-parole du Quai d’Orsay cette forte protestation : « C’est inacceptable, mais nous n’avons pas le sentiment que cela soit systématique. » Non, les soldats israéliens ne chient pas encore systématiquement dans notre ambassade. Et la France s’en félicite.

Et encore, cette autre information à laquelle nous n’avons pas eu droit ce 26 juin : le Congrès américain a adopté la loi sur le réchauffement climatique. C’est un vote à la fois dérisoire et historique. Dérisoire, parce qu’il fixe des objectifs dramatiquement en deçà de ce qui serait nécessaire pour éviter une catastrophe écologique. Historique, parce que c’est la première fois que les États-Unis, jusqu’à présent toujours hostiles à la moindre loi sur le climat, donnent le signal d’une prise de conscience politique.

Retrouvez l’edito en vidéo

[^2]: À propos d’Israël, et surtout à propos de journalisme courageux, il nous faut rendre hommage à Amnon Kapeliouk. Arabisant, spécialiste du Proche-Orient, il fut l’un des premiers, le premier peut-être, journalistes israéliens à interviewer Arafat. En 1982, dans Beyrouth assiégé. Il avait écrit en 2004 une biographie du leader palestinien qui fait référence. Il fut longtemps le correspondant du Monde diplomatique. Il est mort à 78 ans, le 26 juin, lui aussi.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 6 minutes