Les Touaregs demandent justice

Une association nigérienne poursuit Areva pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale. Et rappelle comment l’entreprise exploite sans vergogne les richesses du sous-sol nigérien.

Xavier Frison  • 2 juillet 2009 abonné·es
Les Touaregs demandent justice
© Comité de soutien Alhak : comitealhak@gmail.com, 06 65 54 12 33. Amnesty International publie un rapport sur les violations des droits humains liées à l’industrie pétrolière et gazière dans le delta du Niger.

En bons nomades, les Touaregs aiment voyager. Croiser leurs fières silhouettes, chèche savamment noué, dans le cadre très solennel de la XVIIe chambre d’instruction du tribunal correctionnel de Paris reste néanmoins surprenant. L’affaire plaidée le 23 juin remonte au 21 octobre 2008, date d’un colloque organisé à Paris par le Medef sur le thème « Garantir la sécurité économique ». L’association Alhak-En-Akal, émanation de la société civile touareg au Niger, reproche au directeur « Protection du patrimoine et des personnes d’Areva » d’avoir invité le gouvernement français à donner au Niger les moyens militaires de « mater » la rébellion des Touaregs, « ces hommes en bleu qui font rêver les hommes et chavirer le cœur des femmes mais ne sont qu’une illusion » . Le tout devant un aréopage d’entrepreneurs et la ministre de l’Intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie. Pour les défenseurs du cadre d’Areva, cette déclaration n’a jamais été formulée. Les Touaregs, eux, se sentent blessés dans leur chair, et décident de porter plainte pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale.

Le passif entre les « hommes bleus » et Areva dépasse largement le cadre de cette procédure : depuis les années 1970, la société française pioche sans vergogne dans le riche sous-sol du Nord du pays, gorgé d’uranium, au mépris des populations locales et de l’environnement. La plainte a donc deux objectifs : laver l’affront d’une déclaration vécue comme une profonde insulte, et remettre sur le devant de la scène, en France, les agissements d’Areva au Nord-Niger.

À quelques minutes du procès, la tension monte dans les rangs des ­militants associatifs. L’avocat des plaignants, Jérôme Bouquet-Elkaïm, souriant mais concentré, souffle un grand coup entre deux appels sur son portable :  « Depuis que le procès est lancé, des Touaregs du monde entier m’appellent, des États-Unis, de Belgique, d’Espagne ». Moussa Bilalan Ag Ganta, porte-parole du comité de soutien à Alhak, est amer : « Affirmer que nous ne sommes qu’une illusion revient à nier notre peuple et notre combat pour le faire exister » . En conflit ouvert avec le pouvoir en place, les Touaregs doivent aussi lutter contre les multinationales qui exploitent les richesses de leurs terres et mènent la vie dure aux récalcitrants.

Sarah Fortuné, juriste touareg résidant en France, rappelle le contexte : « L’eau est empoisonnée, beaucoup de nouveau-nés présentent des pathologies dues à la pollution ; dans de nombreux endroits, il manque l’électricité, il n’y a pas de routes dignes de ce nom, rien pour la santé ou l’éducation. Au contraire, on massacre des troupeaux de bêtes, la seule richesse des nomades, et on déplace des populations en masse. » La grand-mère de Sarah Fortuné est toujours nomade au Nord-Niger. Sa mère est pour l’instant sédentaire, à Niamey, la capitale, « pour sa sécurité ». Dans la nouvelle et gigantesque mine à ciel ouvert d’Imouraren, des normes innovantes doivent cependant entrer en vigueur. « Ils veulent redorer leur blason, mais y a-t-il eu consultation des intéressés ?, interroge Sarah Fortuné. 85 % des Touaregs vivent en dehors des villes. La dernière fois que j’ai voulu voir ma grand-mère, il m’a fallu deux jours de 4X4 pour la trouver. Donc, ça m’étonnerait. »

Pour Moussa Bilalan Ag Ganta, « ce qu’on fait aujourd’hui ne concerne pas les activités d’Areva au Niger, mais cela permet d’en parler » . En France depuis trois ans, il est originaire d’Arlit, la ville-champignon qui a poussé après l’ouverture de la mine toute proche : « Les bus qui amènent les ouvriers, de 17 h 30 à 5 h du matin, soulèvent des tonnes de poussière dans la ville, qui restent dans l’air jusqu’au matin. Rien que ça, c’est insupportable. On a réclamé des routes bitumées, mais Areva n’a rien fait. » Les métaux récupérés sur des véhicules de la mine, après leur mise au rebut, sont fondus pour revivre sous forme de casseroles et autres ustensiles de cuisine radioactifs. Les baraquements des ouvriers logés par les sous-traitants d’Areva sont eux aussi construits avec des matériaux provenant de la mine. Tout aussi dangereux : les ouvriers travaillent avec leurs effets personnels, portés au quotidien.

L’ensemble de ces facteurs explique en partie la rébellion touareg, réprimée dans le sang par le pouvoir central. Et présentée par ceux que cela arrange comme des actes de banditisme pour déstabiliser la belle unité du pays. « Les Touaregs ont toujours été un peuple pacifiste, s’émeut Moussa Bilalan Ag Ganta. C’est notamment pour cela que nous n’avons pas voulu organiser de manifestation devant le palais de justice. C’est aussi pour montrer notre confiance en la justice de ce pays. Bien sûr, nous sommes beaucoup moins puissants qu’Areva, mais la vérité, personne ne peut la cacher. Peu importent les moyens. » L’affaire a été mise en délibéré jusqu’au 15 septembre. Pour Sarah Fortuné, ce procès n’est que le premier d’une longue série.

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