Ouvriers, écolos, tous Blue Green !

Hélène Crié-Wiesner  • 17 juillet 2009 abonné·es

On n’a pas idée, en France, de la tournure prise par le débat sur les changements climatiques aux États-Unis. Certes, nul n’ignore que l’arrivée d’Obama a chamboulé le paysage dessiné par Bush. Il était alors de bon ton de douter, voire de nier l’existence du phénomène, au moins de dire que l’homme n’y était pour rien. Et voilà qu’un ouragan souffle sur le pays. Je ne vais pas m’étendre ici sur la mise en place des économies d’énergie et d’une approche différente de la consommation, ni sur l’intérêt populaire pour des sujets jusqu’alors dédaignés ou ignorés. Ça bouge. D’accord, cette évolution résulte partiellement de la crise économique, qui a réduit les ressources et le crédit à tire-larigot. Tout de même, la prise de conscience est réelle. Il n’est que de voir avec quelle placidité a été accueillie l’annonce du Président sur la limitation de la consommation d’essence. Tout le monde sait pourtant que cela va impliquer la fin définitive d’une certaine culture de la grosse et lourde bagnole, trois ou quatre par famille, sans-caisse-t’es-pas-un homme, ou-alors-c’est-que-t’es-trop-pauvre-donc-pas-intéressant. Le plus frappant, dans cette mutation des cerveaux américains, que j’ai longtemps crue impossible, c’est ce qui est en train de se jouer entre les ouvriers et les écologistes alors que la Chambre des représentants vient d’adopter la loi sur l’énergie.
Cette loi, qui doit encore convaincre le Sénat – c’est plus dur –, servira de cadre à toute l’industrie américaine ; elle prévoit notamment de fixer des permis d’émission et la manière dont ils pourront être échangés entre émetteurs de CO2. Cette loi va forcément modifier la contribution des États-Unis à l’effet de serre mondial. Elle va aussi augmenter certains coûts de production. Aussi, jusqu’à présent, les syndicats ouvriers craignaient-ils pour leurs emplois et le coût de la vie en général. La mayonnaise a monté tout doucement, avec, comme ingrédient de base, l’attraction des énergies renouvelables. Les ouvriers de l’acier de la région de Pittsburg se sont payé des pubs télé pour expliquer qu’il n’y avait pas de raison d’importer les éoliennes d’Europe, qu’eux étaient parfaitement capables de les fabriquer pour peu qu’on rouvre leurs aciéries. Al Gore et son fabuleux réseau de militants ont relayé leur appel dans le monde politique et écologiste.

Un nouveau pas a été franchi lorsque, à la mi-mai, la Chambre des représentants du Congrès a commencé à examiner la loi. Quand les élus sont en train de voter, le lobbying (y compris vert) monte en puissance, et il a d’autant plus de chance de porter ses fruits que la société civile montre les dents. D’où l’entrée en scène des grandes organisations syndicales américaines : avec quelques-unes des plus puissantes associations écolos du pays, elles ont formé la Blue Green Alliance (BGA).
Objectif : éduquer les travailleurs sur les enjeux planétaires, leur faire prendre conscience de la connexion entre l’économie et l’écologie, leur ouvrir les yeux sur l’importance de leur propre comportement. La BGA a sorti l’artillerie lourde, et embauché des centaines de camarades-instructeurs qu’elle a formés aux questions sociales et environnementales. Ils tournent dans les villes, villages, églises, centres sociaux, etc. Les syndicats apportent leur caution et relaient le message, via des pubs radio et télé dans des États cibles.
Pourquoi cette agitation ? Il faut gagner la bataille de l’opinion publique, car les élus au Congrès ne prendront pas le risque de mécontenter leurs électeurs.

En échange, le mouvement écologiste se mobilise pour une autre loi promise par Obama, qui élargira la possibilité de se syndiquer. Des « millions d’emplois verts », c’est bien, mais que « des bons emplois verts », c’est mieux. En plus, un employé syndiqué, donc protégé, aura moins peur de signaler les infractions environnementales ou sanitaires de son entreprise. Oubliées, les haines « travailleurs contre écolos » des années 1980 et 1990, lorsque les syndicats traitaient les verts de «  tueurs d’emplois »  ! Est-ce le désespoir dû aux ravages d’une crise économique sans issue proche, d’une crise écologique inéluctable, qui a leur a ouvert les yeux à tous ?

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