Ces algues qui tuent

Les « marées vertes » en Bretagne, pestilentielles et proliférantes, sont aussi mortelles. Les nitrates agricoles sont une fois de plus accusés.

Patrick Piro  • 27 août 2009 abonné·es

Les algues vertes ont tué cet été, sur la plage de Saint-Michel-en-Grève dans les Côtes-d’Armor. Le 4 août, un cavalier a vu son cheval mourir en quelques secondes d’une embolie pulmonaire, dont tout indique qu’elle a été provoquée par l’inhalation d’hydrogène sulfuré (H2S), un gaz toxique dégagé par les tas d’algues vertes en décomposition. L’homme, saisi à son tour d’un malaise, a été secouru par des témoins de la scène. L’Institut national de l’environnement et des risques (Ineris) a confirmé sur place ce que l’on sait depuis plusieurs années : la décomposition des algues vertes peut occasionner localement des concentrations mortelles en hydrogène sulfuré. En 1999, deux chiens avaient succombé à ces émanations.
Les algues vertes gagnent chaque année de nouveaux sites – plus d’une centaine désormais –, et leur production explose à la moindre chaleur. Un scandale que les écologistes dénoncent depuis plus de deux décennies : l’engrais des algues, ce sont les déjections agricoles chargées en nitrates, principalement issues des élevages intensifs de porcs hors sol.

Abrégeant ses vacances, le Premier ministre, François Fillon, a fait bon usage de cet accident pour mettre en scène sa communication de rentrée à Saint-Michel-en-Grève, le 20 août : une mission interministérielle sera créée pour proposer des solutions, et l’État prendra en charge le nettoyage des plages les plus touchées. Le jour où débutait à Nîmes l’université d’été des écologistes, qui ont ironisé sur cette opportune coïncidence de calendrier. Le Parti socialiste s’est également ému de cette soudaine agitation au plus haut niveau du gouvernement, témoignant d’un « double langage » , alors qu’en 2009 « les services de l’État ont encore accordé des dizaines d’autorisations d’extension ou de création à des élevages intensifs ».

L’association Eaux et rivières de Bretagne s’était étranglée début août devant « l’indifférence » et « l’incroyable passivité » des services de l’État : après l’accident de Saint-Michel-en-Grève, le préfet des Côtes-d’Armor en avait appelé à la « responsabilité » des vacanciers, comme s’il s’agissait des risques d’un phénomène naturel notoire…
L’association rappelle que le préfet et son homologue du Finistère ont été condamnés par le tribunal administratif de Rennes en première instance le 25 octobre 2007 (date des conclusions du Grenelle de l’environnement !) pour leur inaction face aux marées vertes, relevant notamment l’instruction insuffisante des autorisations d’extension d’élevages, la régularisation quasi-systématique des dépassements de cheptel, la mauvaise qualité des études d’impact sur l’environnement, le dysfonctionnement des conseils départementaux d’hygiène, le manque de contrôles ou les retards dans l’application des directives européennes.

Persistant, les deux préfets viennent d’approuver les 4es programmes départementaux d’action de lutte contre les nitrates, qui ne prévoient rien de particulier pour les sites touchés par les algues vertes – dont le ramassage et l’élimination a déjà coûté un milliard d’euros en trente ans aux communes touchées, rappelle Eaux et rivières de Bretagne.
En 2008, après moult avertissements de Bruxelles, la Cour de justice des communautés européennes a fini par condamner l’État français pour non-application (en Bretagne principalement) des règles européennes de lutte contre la pollution de l’eau. Fin juin, le Grenelle de la mer adoptait une mesure visant la réduction, entre 2012 et 2014, de 40 % des nitrates et phosphates déversés sur les bassins touchés notamment par les algues vertes. En clair, c’est une mutation profonde de l’agriculture bretonne qui est appelée, et que les pouvoirs publics ont toujours esquivée. Mais il est peu probable que la mission interministérielle de Fillon se risque à l’aborder de front à six mois des élections régionales.

Écologie
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