À quoi servira la taxe carbone ?

La contribution sur les énergies émettrices de CO2 s’appliquera dès 2010, mais son efficacité pourrait être minime, tandis que les mesures de compensation pour les ménages modestes restent floues.

Patrick Piro  • 3 septembre 2009 abonné·es
À quoi servira la taxe carbone ?

C’est au moins une bonne nouvelle : la taxe carbone, annoncée au début de l’été, sera appliquée dès 2010, a confirmé le Premier ministre, François Fillon. Dite « contribution climat-énergie » (CCE), elle consiste à renchérir par un prélèvement fiscal le coût des combustibles fossiles – pétrole, gaz, charbon, les principales sources d’émission de gaz carbonique (CO2) –, dans le but d’en détourner les consommateurs, notamment dans les secteurs des transports et du chauffage, les premiers concernés.
Fruit d’un consensus politique désormais acquis à droite comme à gauche, la fiscalité est fréquemment reconnue comme l’outil le plus puissant pour « décarboner » l’économie, alors que les mécanismes de marché (droits d’émission de CO2 négociables, par exemple) ou les engagements volontaires des entreprises ont démontré leurs défauts, voire leur inefficacité.

Pourtant, de sérieux doutes sont permis quant à la sincérité écologique du gouvernement : après les propositions du groupe d’experts piloté en juillet par Michel Rocard, les correctifs gouvernementaux préparent un dégonflement en règle de cette innovation, avant la présentation mi-septembre de la loi de finance 2010. Le principal recul, c’est une probable division par deux de son taux. Le groupe Rocard prévoyait de prélever 32 euros par tonne de CO2 émise, suivant la préconisation du rapport Quinet de fin 2008 [^2]. Portant sur les ventes de pétrole, de gaz ou de charbon, la taxe sera répercutée sur le prix des différents bien et services qui en font usage. Mais les foyers seront aussi directement concernés par leurs achats de carburant et d’énergie de chauffage. À hauteur d’environ 160 euros par an à raison de 32 euros la tonne de CO2, avait évalué l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Quant à la facture de chauffage, elle augmenterait de 15 %. Le montant de 32 euros résultait déjà d’un compromis entre entreprises, syndicats et associations, « que personne n’avait alors remis en cause » , relève l’économiste Philippe Quirion, membre du Réseau action climat (RAC), qui souhaitait un montant de 50 euros.

Mais, dès la fin août, le gouvernement s’est employé à casser cette ambition. Confirmant les préventions d’Éric Woerth, ministre du Budget, et de Chantal Jouanno, secrétaire d’État à l’Écologie, Christine Lagarde, ­ministre de l’Économie, s’est prononcée pour un prélèvement d’environ 15 euros la tonne de CO2 : il ne renchérirait que de 3 centimes le prix du litre d’essence, pour une collecte annuelle de quelque 4 milliards d’euros.
Le montant initial de prélèvement de la taxe carbone est un paramètre clé pour en assurer le succès. Soit permettre une division par quatre (au moins) des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, objectif consensuel parmi les climatologues pour espérer limiter la dérive climatique à 2 °C d’augmentation de la température [^3].
Pour cela, la commission Quinet a établi un scénario tablant sur une augmentation progressive de la taxe carbone, à raison de 5 % par an. En 2030, elle prélèverait ainsi 100 euros par tonne de CO2 émise. Soit le niveau aujourd’hui atteint en Suède, pays où une telle taxe est en vigueur depuis 1991 ! Inaugurer la taxe à 15 euros obligerait donc à en faire croître le taux de manière beaucoup plus raide que prévu. «  Et, à ce niveau de départ, son efficacité est marginale, commente Philippe Quirion. Elle n’incitera guère au changement des comportements… »

Écologique, la taxe ? Associations, syndicats et partis d’opposition soupçonnent en fait le gouvernement de poursuivre un objectif immédiat et prosaïque : sous couvert de nécessité climatique, elle serait surtout une simple pompe à renflouer les caisses de l’État, en particulier pour compenser l’abandon de la taxe professionnelle supportée par les entreprises. Ce qui est parfaitement conforme à la vision « écologique » du programme électoral 2007 du candidat Sarkozy : alléger la pression fiscale sur le travail, compensée par l’augmentation des prélèvements écologiques – un mécanisme de vases communicants, une variable d’équilibre annuel. Le Syndicat national unifié des impôts (Snui) s’étonne : une « vraie écotaxe » , visant à décourager le recours aux énergies fossiles, n’a pas à se soucier de « rendement budgétaire »  ; à vocation temporaire, elle ne saurait se substituer à une « source de financement pérenne ».

Mi-août, Christine Lagarde confirmait pourtant presque mot pour mot la philosophie Sarkozy, alors qu’elle affirmait deux semaines auparavant qu’il convenait de « complètement délier » l’instauration de la taxe carbone de la réforme de la taxe ­professionnelle.
Au moins aussi gênant : le gouvernement reste encore très évasif au chapitre des « compensations » pour les foyers. En effet, il n’est en principe pas question d’alourdir globalement leurs charges, surtout en période de crise économique et à six mois d’un scrutin. Puis, dans le détail, le prélèvement sera très inégalitaire, surtout à cause de la voiture : les ménages ruraux ou éloignés des lieux de travail, qui en sont très dépendants, auraient à débourser plus de 150 euros par an, contre environ 40 euros pour un célibataire urbain, avec un taux de 15 euros la tonne de CO2. Comment à la fois rendre la taxe « indolore » pour les ménages et compenser ces inégalités ? La Fondation Hulot propose l’instauration d’un « chèque vert », que défend aussi le ministre de l’Écologie, Jean-Louis Borloo : il permettrait de reverser aux foyers l’équivalent de la ponction, de manière différenciée selon les situations (en théorie, car il ne sera pas possible de mesurer l’impact exact d’une taxe carbone pour chaque particulier). Tout en préservant un effet incitatif : les ménages qui feront l’effort de réduire leurs émissions de CO2 seront financièrement gagnants. Sans remettre en question le principe d’une compensation, des poids lourds du gouvernement, comme Éric Woerth et Christine Lagarde, ne sont cependant pas convaincus.

À 15 euros la tonne de CO2, le projet est donc menacé de dévitalisation totale, par perte de son impact pédagogique, ce qui remet en question son objectif initial. Mais le but de la manœuvre pourrait être également de limiter la charge des compensations, en induisant qu’à ce niveau il suffirait surtout d’aider les ménages les plus modestes.
Un dernier évitement agace particulièrement les écologistes : la taxe n’affecterait pas la consommation d’électricité, certes produite en France à moins de 15 % par des énergies fossiles, grâce au nucléaire essentiellement. Mais, relèvent les associations, la désaffection pour les énergies fossiles provoquera immanquablement un recours accru à l’électricité, qui génère aussi du CO2, notamment lors des pics de chauffage hivernaux (où l’on fait appel aux centrales à charbon allemandes), sans parler des risques propres au nucléaire. In fine, «  le but de la taxe doit aussi d’aller vers plus d’efficacité et de sobriété énergétique » , insiste France nature environnement.

[^2]: Le marché de permis d’émission de CO2 européen, qui concerne uniquement les entreprises fortement émettrices (soumises à des quotas d’émission depuis 2005), l’établit actuellement à 15 euros environ, mais essentiellement en raison de la crise économique, qui ralentit l’activité économique et donc limite « naturellement » les émissions.

[^3]: À condition que tous les pays industrialisés fassent de même.

Écologie
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