Comment ouvrir les journaux

En partenariat avec le Bondy Blog, l’École supérieure de journalisme de Lille installe une classe préparatoire en banlieue parisienne. Elle entend diversifier le paysage médiatique en dénichant les talents de demain.

Laurence Texier  • 24 septembre 2009 abonné·es
Comment ouvrir les journaux

Ce jour-là, l’enthousiasme est de rigueur, rue Roger-Salengro, à Bondy, en Seine-Saint-Denis. On inaugure la classe préparatoire « diversité » aux très sélectifs concours d’entrée des écoles de journalisme. Vingt jeunes issus de milieux modestes ont été sélectionnés pour préparer ces concours, encadrés par des professionnels. Sans avoir à débourser le moindre euro. Aux manettes de ce concept flambant neuf : le Bondy Blog, un site participatif alimenté par de jeunes rédacteurs depuis les émeutes urbaines de 2005, et l’École supérieure de journalisme (ESJ) de Lille.

« On sait depuis longtemps qu’on a une difficulté en matière d’ouverture de nos recrutements, explique Marc Capelle, directeur délégué de l’ESJ Lille. S euls 1 ou 2 % de nos étudiants sont des fils ou filles d’ouvriers. » La mixité sociale des rédactions ne peut passer que par la suppression de « l’obstacle financier des écoles pour ces jeunes générations issues de milieux modestes » , estime Nordine Nabili, responsable de l’antenne ESJ à Bondy et ancien rédacteur en chef du Bondy Blog. De l’école préparatoire aux frais de concours en passant par l’hébergement, la cantine et les transports, les étudiants n’auront donc rien à payer. « On leur demande juste d’être motivés et d’être les pionniers d’un super projet » , confie Nordine Nabili.

Outre l’aspect financier, les élèves bénéficient de l’enseignement d’intervenants prestigieux. Il s’agit de « montrer qu’on peut développer une formation d’excellence ouverte à tous » , explique Philippe Vasseur, président de l’ESJ Lille.
Un « tous » relatif puisque, sur 220 candidats, seuls 20 ont été retenus, sur des critères sociaux et scolaires. Âgés de 19 à 25 ans, ils sont boursiers, avec un niveau bac + 2, et viennent surtout d’Île-de-France et du Nord-Pas-de-Calais. « Je suis content de la sélection. Elle n’est pas ­ethno­culturelle. On fait dans la diversité sociale » , témoigne Nordine Nabili, qui a commencé à former ces jeunes depuis le mois de juillet.

À 25 ans, Faïza est titulaire d’un master 2 d’histoire. Son idéal : « Écrire pour un journal comme Télérama ou Libé. » Elle a déjà tenté les concours, a fait plusieurs stages et écrit régulièrement pour le Bondy Blog. Mais, cette fois, c’est en confiance qu’elle aborde les épreuves. « On a vraiment toutes les clés. On a les formateurs qui conçoivent le concours. Ce n’est pas rien » , explique la jeune femme. « Bien sûr, il y a des problèmes d’orthographe. Quelques problèmes de langue aussi, reconnaît Nordine Nabili. Pour caricaturer, pendant que Marie-Charlotte était en train de parfaire son anglais à Londres, Salima, de Bobigny, vendait des menus au McDo pour payer ses études. Le milieu social conditionne un certain nombre de vos capacités. Et ce sont ces capacités-là qui sont éliminatoires. »

Morad Belkadi ne le contredira pas. Originaire de Wattrelos, dans le Nord, le jeune homme de 22 ans est en contrat d’alternance dans un journal local et a lui aussi intégré la classe préparatoire. « J’ai encore de gros problèmes avec l’orthographe et les choix d’angle des papiers » , explique-t-il. Les cours de français, d’anglais et de reportage dispensés durant le mois de septembre à Bondy sont une aubaine pour lui.
Mais n’allez surtout pas parler à Nordine Nabili de discrimination positive. « Je ne veux pas que ces mômes rentrent par la fenêtre, mais par la voie classique » , répond-il. Pas question d’offrir un concours au rabais : « Ils ne sont pas illégitimes. Ils ont joué le jeu de la méritocratie. Mais, financièrement, leur milieu social ne pouvait leur permettre ne serait-ce que de rêver de faire ce métier. »

Le projet a été notamment financé par les principaux médias de masse (TF 1, M6, LCI, LCP, Radio France…), qui recevront également les étudiants en stage. Étrange jeu à trois entre un blog « citoyen », des médias souvent honnis pour leur traitement des zones urbaines sensibles et une institution vieille de 85 ans, première pourvoyeuse d’hommes et de femmes à ce journalisme formaté qui exaspère tant, notamment en banlieue… Pour Éric Moniot, de la LCP, chaîne partenaire, l’idée n’est pas « d’avoir son quota de diversité dans la rédaction » , en jouant sur une opération marketing ponctuelle : « Ça répond à un réel besoin. » Sa chaîne « politique et citoyenne » devrait être d’une diversité exemplaire, ce qu’elle n’est pas pour l’heure. Alexis Delcambre, rédacteur en chef du Monde.fr, ajoute que cette diversité offre « la garantie d’une lecture plus fine de l’actualité » . Mais sans le Bondy Blog, créé par un journaliste suisse lors des émeutes urbaines en novembre 2005, « l’ESJ aurait encore couru longtemps derrière une initiative autour de cette question de la banlieue et de la diversité » , affirme son ancien rédacteur en chef, Nordine Nabil.

Si la « prépa » est richement dotée, rien n’est encore prévu concernant la prise en charge des frais de scolarité de ceux qui intégreront les écoles. Mais les médias partenaires espèrent récolter les fruits de leur investissement en recrutant à la sortie de l’école les jeunes passés par la case « prépa diversité ». À savoir des profils diversifiés, voire des spécialistes des « questions urbaines » . Un genre de plus en plus convoité alors qu’on ne cesse de parler d’une fracture entre médias et banlieues. « Des spécialistes des questions liées aux banlieues, nous en avons besoin » , estime Marc Capelle. Nordine Nabili préfère penser que « ce n’est pas parce qu’ils viennent de milieux modestes et, pour certains d’entre eux, de milieux immigrés, qu’ils deviendront des spécialistes de la question sociale et de l’immigration ».
Du côté du Bondy Blog, on espère que l’initiative annonce des lendemains meilleurs. De ceux où les médias ne viendraient plus « seulement faire leur marché ici » . « Ce sont un peu nos meilleurs éléments qu’on perd à chaque fois » , explique le journaliste suisse Serge Michel, fondateur du Bondy Blog. Celui-ci a déjà vu quatre Bondy Blogueurs partir vers la tour de verre de TF 1. Mais est-ce véritablement enviable ?

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