Primaire à gauche : Une fausse bonne idée

En apparence séduisante, la désignation ouverte du candidat du PS, voire de la gauche, aura des répercussions lourdes de conséquences, pour la gauche et notre système politique.

Michel Soudais  • 3 septembre 2009 abonné·es
Primaire à gauche : Une fausse bonne idée

Drôle de débat. En pleine crise économique, alors que la seule véritable croissance est celle du chômage (complet ou partiel), des responsables socialistes estiment que rien n’est plus urgent que de décider maintenant du mode de désignation du candidat qui représentera la gauche, ou à défaut le PS, à l’élection présidentielle de… 2012. Il faut croire que cette quête effrénée d’un chef incontesté n’a rien de choquant puisque sous la pression de quelques socialistes de la jeune génération – les fameux « quadras » parfois proches de la cinquantaine –, d’une boîte à penser « progressiste » – les guillemets sont de rigueur –, de la presse – saluons la réussite de Libération  – et des sondages, la quasi-totalité des dirigeants socialistes s’y sont ralliés. Avec bonheur, doivent-ils penser, puisque, selon un sondage de l’Observatoire de l’opinion LH2, commandé par le site nouvelobs.com, et opportunément publié lundi, 58 % des sympathisants de gauche estiment que des primaires ouvertes peuvent servir de base au renouveau du PS et de la gauche.

Certes, la patronne du PS, qui veut se garder de tout hégémonisme, a prudemment récusé l’idée que cette «  primaire ouverte » soit organisée pour désigner « le » candidat de la gauche, comme le réclament les signataires de la pétition de Terra nova lancée dans le journal Libération. Selon elle, il s’agit de « choisir le candidat socialiste » , et il n’est pas question de « décider à la place des autres partis de gauche ». « Qui nous dit que nous aurions intérêt en 2012 d’avoir un seul candidat ? », s’est-elle aussi interrogée. Elle a toutefois laissé entendre qu’une ouverture à d’autres formations qui souhaiteraient se joindre à la procédure était envisageable.

Or, si Marie-George Buffet et Jean-Luc Mélenchon refusent catégoriquement d’en être, la secrétaire nationale du PCF voyant dans les primaires « le chemin de la défaite à gauche », le président du Parti de gauche décelant « une machine à marginaliser l’offre politique de l’autre gauche » , d’autres partis pourraient se laisser tenter. Les radicaux de gauche pourraient y participer s’il s’agit de désigner « un candidat de la gauche » et non un ­candidat socialiste, a fait savoir leur président, Jean-Michel Baylet. Jean-Pierre Chevènement ne l’exclut pas non plus si cette désignation est organisée « par plusieurs partis ou clubs de la gauche » et « à condition [qu’elle] soit largement ouverte aux sympathisants ».
Comme le dit Daniel Cohn-Bendit, qui n’y est pas fondamentalement hostile et y ajouterait volontiers le MoDem, le débat «  ne fait que commencer ».

Il tourne autour de quatre questions.
Quel périmètre ? François Hollande et Laurent Fabius veulent réserver cette primaire aux seuls candidats socialistes alors que d’autres, comme Arnaud Montebourg, plaident pour les ouvrir à des candidats de la gauche non socialiste. L’enjeu touche ici à l’architecture de la gauche pour les années à venir. S’agit-il simplement de désigner un candidat socialiste qui sera investi par un corps électoral plus large que les seuls 150 000 militants du PS ? Ou s’agit-il, comme Terra nova et les signataires de sa pétition en caressent l’espoir, d’ouvrir cette primaire à toutes les candidatures jusqu’au MoDem afin de faire émerger un champion qui, désigné par des millions d’électeurs, aura la légitimité, surtout s’il accédait ensuite à l’Élysée, pour engager la création d’un grand parti « progressiste », sorte d’UMP de centre-gauche ?

Quelle liste électorale ? Élargie aux « sympathisants » socialistes estampillés, elle ne comprendrait guère plus de 500 000 personnes. Ouverte aux « électeurs socialistes », quelle en serait la limite ? Les électeurs du premier ou du deuxième tour ? Au cours des cinq dernières années, ils sont près de 20 millions à avoir, à un scrutin au moins, glissé un bulletin socialiste dans l’urne. Dans l’optique de procéder à une « primaire populaire » , Arnaud Montebourg et le président de Terra nova, Olivier Ferrand, qui viennent de publier un petit livre rouge, Primaire. Comment sauver la gauche (Seuil), estiment que « toute personne inscrite sur les listes électorales est un électeur potentiel ». Les seules conditions seraient « une participation ­financière d’un ou deux euros » et la signature d’un « engagement à soutenir le vainqueur de la primaire » . Mais dans ce cas, adhérents étrangers ou mineurs, qui votent dans les sections socialistes, seraient-ils exclus de la procédure ?

Quel calendrier ? La question n’est pas neutre. Une primaire organisée au premier semestre 2011 – hypothèse retenue par Martine Aubry – pourrait exclure Dominique Strauss-Kahn, engagé au FMI jusqu’en 2012. Pour « laisser la possibilité à tous les grands candidats de se présenter » et « pour ne pas être trop loin de l’élection » , Laurent Fabius préférerait une organisation au deuxième semestre 2011. Le scrutin doit-il se tenir sur une journée ou en plusieurs vagues, comme aux États-Unis ? Cette dernière solution, qui verrait la compétition se tenir sur six mois, avec une « phase éliminatoire » et une « phase décisionnelle » de trois mois chacune, est préconisée par MM. Montebourg et Ferrand, qui jugent indispensable cette « longueur » pour éliminer au fur et à mesure les petits candidats et susciter un processus de rassemblement où les candidats qui se désisteraient apporteraient leur concours à ceux qui resteraient en lice. Et qui serait close par une « cérémonie de réconciliation » finale, sorte de convention à l’américaine encore, où Ségolène Clinton battue viendrait apporter son soutien à Martine Obama.

Que deviennent les adhérents et les partis ? C’est la principale inconnue et sans doute le plus gros défaut du système. « Si les socialistes arrivent à se mettre d’accord, cela va non seulement changer à terme le fonctionnement du parti, mais aussi celui de la gauche et même du système politique » , prédit le politologue Gérard Grunberg. « En terme d’organisation partisane, c’est une idée authentiquement révolutionnaire », se félicite Olivier Ferrand, le président de Terra nova. Jusqu’à présent, seuls les adhérents du PS désignaient leur candidat. Un droit statutaire accordé en contrepartie du paiement de cotisations (qui peuvent être élevées) et d’une participation aux débats où se forment des décisions éclairées par une confrontation argumentée. Ce fonctionnement idéal, sur lequel fonctionnent tous les partis de gauche, avait déjà été mis à mal avec l’arrivée des adhérents à 20 euros lors du processus de désignation du candidat socialiste en 2006. Encore subsistait-il un délai (six mois d’adhésion) et quelques garde-fous.

Dans un système de « primaires ouvertes », tout change. En désignant un candidat, on ne désigne pas seulement un homme ou une femme, mais un projet et un programme. À quoi bon, dès lors, continuer à organiser des congrès pour arrêter des choix qui seront inopérants puisque le congrès majeur se jouera à ciel ouvert avec les passants de la rue ? À quoi bon maintenir des partis quand un comité électoral suffit à organiser une primaire entre des candidats que les médias choisiront de favoriser ou non et qu’aucune règle ne mettra jamais à égalité de moyens ?
Ce n’est certainement pas en supprimant toute distinction entre les adhérents et les électeurs que l’on contribuera à revivifier des partis politiques, dont l’existence est nécessaire pour faire vivre la démocratie. Au quotidien, et pas seulement une fois tous les cinq ans.

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