Mascarades

Bernard Langlois  • 1 octobre 2009 abonné·es

Tralala

Que retiendra-t-on de ce sommet du G20 si ce n’est son impuissance à prendre le taureau de la crise par les cornes, au point qu’il a fallu faire diversion en sortant l’épouvantail iranien du magasin des accessoires ?
Un tralala dispendieux pour pas grand-chose ; sinon, pour nous Français, une prestation ratée du Prince face à deux questionneurs bien peu réactifs – comme d’hab’ –, marquée par une autosatisfaction grotesque (c’est la France qui, que, c’est moi que, qui…), des mensonges hauts comme des gratte-ciel new-yorkais (paradis fiscaux : a-pu ! Bonus : finis !), des erreurs révélatrices de l’ignorance des sujets traités (le CO2 qui troue la couche d’ozone) et un lapsus particulièrement calamiteux – bien que linguæ  ! – qui apprendra au PPR (Petit Père des riches) à ne pas s’aventurer sur des chemins glissants, surtout quand on est en terre étrangère et censé s’occuper des grands problèmes de la planète.
D’où, enfin et off , une grosse colère contre la patronne de l’info sur France 2, comme si elle était responsable de son plantage, m’âme Chabot : décidément, il ne change pas, c’est toujours le même sale gosse gâté.

Indécence

Donc, un G20 pour rien, dont l’illégitimité n’a d’égale que l’inefficacité ; et maintenant, cap sur Copenhague, qui s’annonce pire encore…
Attac a bien raison de tacler : «  G20 de Pittsburgh, arrêtons la mascarade ! » L’association altermondialiste détaille les raisons de l’échec et propose dix mesures d’urgence «  pour désarmer les marchés financiers » (dont la 10e –  « Une fois mises en œuvre les neuf mesures précédentes, le G20, satisfait du devoir accompli, prononcerait la transformation du G20 en G192. Le G192, soit l’ONU réformée et démocratisée, aurait en effet plus de chances d’apporter à la crise mondiale une réponse donnant satisfaction non pas aux gouvernements de quelques pays riches, mais à l’ensemble de ses États membres » – souligne l’indécence de ce magistère mondial autoproclamé, même si G20 c’est mieux que G10, qui était mieux que G8 et G7).
Encore un effort, camarades Grands ! [^2]

Enfermement

Je lis dans Le Monde de samedi la tribune de Tahar Ben Jelloun [^3], qui, par le biais d’une anecdote (réelle ou inventée, peu importe, le romancier a tous les droits, et ce n’est pas Giscard qui dira le contraire…), dénonce le sort des femmes musulmanes enfermées derrière le cloître de tissu du voile islamique. Le couple qu’il dit avoir croisé dans le Sud marocain roule en voiture de sport, « peut-être une Porsche » (ou peut-être pas, là encore aucune importance, un bel engin coûteux). C’est l’homme (jeune, d’allure moderne, cigarette, portable) qui conduit, bien sûr. La voiture est immatriculée aux Pays-Bas, à Rotterdam. Ça sent à plein nez le trafiquant de cette herbe qui fait rire et qui pousse dans le Rif. La femme, voile intégral et lunettes de soleil en prime. Le type explique à notre écrivain qu’il vient de se marier au pays et veut repartir en Europe avec sa jeune épousée ; mais « problème papiers, ils veulent photo identité visage découvert, ils sont fous, enfin Allah est grand ! » . Bref, ce que Ben Jelloun entend mettre en lumière, avec son anecdote, ou sa parabole (talentueuse), c’est que « cet individu illustre à lui tout seul les contradictions d’une mentalité de l’âge de pierre avec un pied dans le XXIe siècle. Il utilise les moyens techniques les plus sophistiqués et en même temps traite sa femme comme du bétail » . Une opinion qu’on peut partager, dans la mesure où le port du voile est contraint et non choisi (on trouve des femmes, qui n’ont l’air ni stupides ni malheureuses, qui choisissent de porter le voile islamique).

Chiennerie

Mais ce n’est pas pour rouvrir le débat que je cite cet article de l’ami Tahar.
C’est parce que je tombe, le même jour, sur le site Slate.fr, sur ceci : « Qui sommes-nous ? Que nous disent nos corps ? Ces questions lancinantes sont directement posées par le documentaire le Corps des femmes. Il a été réalisé par une jeune femme, Lorella Zanardo, qui a visionné 400 heures de télévision, balayant les chaînes italiennes privées (propriété de Silvio Berlusconi) comme les chaînes publiques. On y voit la banalisation et la vulgarisation du corps de la femme. Dans ce pays où 80 % des personnes qui regardent la télévision en font leur source d’information principale et où 60 % de l’audience télévisée est de sexe féminin, c’est une horreur misogyne permanente. » Ces quelques lignes introduisent toute une réflexion accompagnée d’images auxquelles je vous invite à vous référer à votre tour [^4]. La bêtise, la vulgarité, la chiennerie, la misogynie crasse de cette télévision italienne (mais qui n’est que la pointe avancée de notre société du spectacle) ne me paraissent guère plus ragoûtantes que les excès obscurantistes des fondamentalismes religieux, l’islamique en particulier. Les unes, entendons-nous bien, ne justifient pas les autres : mais elles se nourrissent les unes les autres.

Niveau

Au fait, Brigitte Bardot, me direz-vous ? Notre BB nationale qu’on célèbre à l’envi pour ses 75 ans. Eh bien, regardez-la, cette friponne au corps parfait qui fit fantasmer des millions d’hommes (et sans doute aussi de femmes), voyez comme elle était fraîche et belle et naturelle ; et comparez donc avec les bimbos d’aujourd’hui, ces « velines » siliconées qui peuplent les écrans italiens (pas seulement) et agrémentent les fêtes du « papounet ».
Comme dit l’autre, le niveau monte !

Lehmann Sisters

Je ne pousserai pas le féminisme jusqu’à prétendre, comme d’aucuns (et surtout d’aucunes), que tout irait mieux dans ce bas monde si les femmes étaient aux leviers de commande.
Je n’ai pas le souvenir que Golda Meir, Indira Gandhi ou Maggie Thatcher, par exemple, aient mené une politique beaucoup plus pacifique, plus sociale et plus respectueuse des libertés que les mâles qui les ont précédées ou suivies. Et si Mme Lagarde m’a bien fait rire en prétendant (sur France Inter, je crois) que « si Lehman Brothers s’était appelé Lehman Sisters, on n’en serait pas là » , je veux croire qu’elle plaisantait – j’en suis même sûr : quand je vous dis qu’elle s’est bien décontractée depuis sa prise de fonction ! Pour dire que la victoire (relative) d’Angela Merkel, qui va continuer à mener le bal Outre-Rhin après avoir juste changé de partenaire, me laisse assez froid : les Allemands les moins bien lotis le resteront et les finances continueront de faire la loi. Comme chez nous. La claque prise par le SPD, en revanche, et la poussée concomitante de Die Linke sont des nouvelles plutôt réjouissantes et riches, pour nous autres, d’enseignement : la domination, à gauche, d’un PS usé jusqu’à la corde n’est pas inéluctable. Et si l’ensemble des petites formations de la gauche de gauche parvenaient à s’unir, le rapport de forces électoral pourrait finir par s’inverser.
C’est le pari de Mélenchon : puisse-t-il en convaincre le PCF (un test : Buffet va-t-elle laisser Braouezec prendre la tête de liste en Île-de-France ?) et le NPA !

Diatribe

À propos : à ces quelques lecteurs qui me reprochent (gentiment mais fermement !) une vision trop noire de notre société, comme de trop cogner sur les dirigeants du PS ou des grandes centrales syndicales, je dédie ces quelques lignes : « Nous sommes aujourd’hui dans une société aussi injuste, aussi illégitime que celle de l’Ancien Régime finissant. Elle finira aussi mal. […] Si, face au cynisme de l’économie de tripot, les socialistes ne représentent plus l’aspiration du peuple à la justice, alors on peut les renvoyer à la niche. […] Nombre de leurs dirigeants sont des banquiers à la petite semaine, des spéculateurs à la manque, je ne leur confierais pas mon portefeuille. […] Si le socialisme ne parvient pas à convaincre, c’est à cause de l’indignité de ses dirigeants… » Bouffre ! De qui donc cette diatribe ? De Julliard, dans L’Obs’ , qui titre avec une formule de Trotski [^5]. Mais où va-t-on ! L’arrivée d’Olivennes, qui tire à droite l’hebdo de la gauche respectueuse, a au moins cette heureuse conséquence de pousser le chantre de la deuxième (gauche) à durcir le ton.

Sorcelleries

Les Solfériniens débattent (mollement, à ce qu’on dit) des propositions de réformes que leur soumet la patronne. Vite fait bien fait : une petite semaine de discussion, et hop ! Aux urnes (on a eu le temps de les débourrer ?). La mesure phare, bien sûr : les fameuses primaires.
Pour ceux que ça intéresse, les deux principaux promoteurs de la chose, Ferrand et Montebourg, viennent d’en sortir le vade-mecum  [[Primaire, comment sauver la gauche,
O. Ferrand, A. Montebourg, Seuil, 125 p., 12 euros.]]. À lire d’urgence, c’est ce jeudi 1er octobre que les militants doivent voter ! Un autre bouquin, un gros celui-ci, intéressant (mais vraiment réservé aux historiens et aux militants désireux de découvrir le passé de leur parti et, plus pointu encore – manque pas un bouton de guêtre –, de la formation jeune du PS, alors appelé SFIO, entre 1944 et 1948) : pour constater que les déchirements ne datent pas d’hier ! Enfin, pour tout le monde et la bonne bouche : l’enquête passionnante de François Bazin, chef du service politique de L’Obs’ sur Jacques Pilhan, le Sorcier de l’Élysée. Sorcier, assurément ; et éminence grise, fuyant les projecteurs, avide de pouvoir et d’argent, pas de gloriole comme son compère Colé ou Séguéla, son mentor vite dépassé ; joueur de poker frotté de situationnisme, faiseur de rois – et peu importe de quelle lignée : il fut successivement le « communiquant » de Mitterrand, de Rocard, de Chirac et quelques autres seigneurs de moindre importance. Pas le genre à perdre son temps avec d’autres opinions que celles de l’excellence de ses prévisions et de la supériorité de sa manœuvre – l’une et l’autre nourries par l’auscultation permanente de l’opinion reine, mais attention, en qualitatif, pas en quantitatif. D’un mépris de fer pour les « poussiéreux », les archaïques qui croient encore que la politique est affaire de convictions, d’exemple, d’engagement…
Le grand spin doctor français est mort jeune, à 55 ans. Cancer.
Je le redis, l’enquête de Bazin est passionnante [^6]. Et aussi atterrante : car les sorcelleries dont il est ici question, leurs succès éclatants (quelques échecs aussi), signent quelque part la déliquescence de la démocratie et la mort de la République.
On comprend mieux, alors, le dégoût qui nous est venu de la chose publique en général, et de cette gauche en particulier, qui a vendu son âme aux gourous.

[^2]: En intégral sur le site d’Attac.

[^3]: Le Monde, 27-28 septembre.

[^4]: « L’Italie de Berlusconi, le pays de la femme objet », de Federica Quaglia, .

[^5]: « Leur morale et la nôtre », Jacques Julliard, Nouvel Obs du 24 septembre.

[^6]: Le Sorcier de l’Élysée, François Bazin, Plon, 430 p., 22,50 euros.

Edito Bernard Langlois
Temps de lecture : 10 minutes