Se précipiter dans le panier de crabes ?

Serge Latouche  • 1 octobre 2009 abonné·es

« Dire que la décroissance sera au centre du débat électoral de 2007 serait présomptueux, mais il est sûr qu’elle n’en sera pas absente », écrivions-nous en 2006 [^2]. Désormais, à chaque élection, se pose la place de la décroissance dans les programmes des partis, mais aussi celle des objecteurs de croissance à travers un parti et des candidats spécifiques.
Parce que je n’étais pas favorable à la fondation d’un parti de la décroissance, il m’a été reproché de ne pas avoir une vision politique de la décroissance. « Institutionnaliser prématurément un programme à travers l’existence d’un parti politique risquerait de nous faire tomber dans le piège de la politique politicienne, celle qui désigne l’abandon par les acteurs politiques des réalités sociales et l’enfermement dans le jeu politique, alors même que les conditions ne sont pas mûres pour espérer mettre en œuvre la construction d’une société de la décroissance et qu’il est douteux que celle-ci puisse s’inscrire efficacement dans le cadre dépassé de l’État-nation ^3. »

En effet, la décroissance est un projet politique, au sens fort du terme : celui de la construction, au Nord comme au Sud, de sociétés conviviales autonomes et économes. Fondé sur une analyse réaliste de la situation, il n’est cependant pas immédiatement transposable en objectifs concrets. Concevoir le modèle cohérent et désirable d’une société de décroissance nécessite non seulement une réflexion théorique d’ensemble, mais constitue aussi une étape importante dans la mise en pratique.
Cela ne veut pas dire que nous préconisions l’abstention lors des échéances électorales, ni que nous nous refusions à l’élaboration de propositions concrètes. Toutefois, je persiste et signe : *« Nous pensons plus important de peser dans le débat, infléchir les positions des uns et des autres, faire prendre en considération certains arguments, contribuer à faire évoluer ainsi les mentalités^3. »
*
S’il vise à rendre toute sa dignité au politique, notre projet s’inscrit mal sur l’échiquier politique actuel. Celui-ci, en effet, a peu de prises aujourd’hui sur les réalités qu’il faut changer, et il convient d’être prudent dans la façon d’en user. Dans le meilleur des cas, les gouvernements ne peuvent que freiner, ralentir, adoucir des processus à contre-courant qui leur échappent. Il existe une « cosmocratie » mondiale qui, sans décision explicite, vide le politique de sa substance et impose « ses » volontés. Tous les gouvernements sont, qu’ils le veuillent ou non, les « fonctionnaires » du capital. Et les politiciens, même dans l’opposition, ne peuvent échapper aux pièges de la politique spectacle, sinon aux séductions d’une professionnalisation généreusement rétribuée. Sans doute cela n’est-il pas étranger à la décomposition aussi navrante que délétère du parti socialiste, mais aussi des Verts et de l’extrême gauche. Les magouilles, les querelles d’ego, les exclusions à coup de fausse rigueur idéologique, les conflits d’ambition sordides entre partis (plus quelques électrons libres atteints du virus électoraliste) – sans que soit jamais clairement posée la question du rejet du productivisme – nous confirment dans la justesse de notre analyse. Après les listes Europe-Décroissance, le Mouvement des objecteurs de croissance et le Parti pour la décroissance, animés par des jeunes sympathiques et enthousiastes, ont décidé de poursuivre l’aventure pour les régionales de 2010. Malgré tout, sans les suivre, nous leur souhaitons bon vent…

(2) ibid.
(3) ibid.

[^2]: « La décroissance : un enjeu électoral », Politis n° 905.

Publié dans le dossier
Le bel avenir de la décroissance
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