Justice climatique

Patrick Piro  • 3 décembre 2009 abonné·es

Depuis quelques années, se développe un discours sous-entendant une sorte de « match nul » entre le Nord et le Sud : la Chine est devenue le premier émetteur de CO2, devant les États-Unis ; la croissance des pays émergents est responsable de l’essentiel de l’augmentation des émissions de CO2 depuis 2000, etc.
On explique rarement qu’un Chinois émet toujours cinq fois moins qu’un États-Unien, et que le milliard d’habitants des pays industrialisés est responsable de 65 à 75 % des gaz à effet de serre accumulés dans l’atmosphère depuis la révolution industrielle. Le milliard d’habitants des 100 pays les plus pauvres, il n’y a contribué que pour 2 %…

Climate justice now ! Le mot d’ordre a été lancé au sommet « climat » de Bali, en 2007, par des mouvements sociaux : « Justice climatique maintenant ! » L’idée est désormais soutenue par la plupart des mobilisations citoyennes : il est incontournable de reconnaître la « dette climatique » historique des pays industrialisés envers les pays du Sud.
Jusqu’à récemment, était admise une éthique naïve : le Nord doit réduire suffisamment ses émissions pour « faire de la place », un temps encore, à celles du Sud, qu’il serait immoral de priver de « développement », fût-il dépendant des énergies fossiles. Une logique paternaliste bel et bien enterrée. « Aujourd’hui, le dérèglement climatique est devenu le premier sujet politique planétaire “à solidarité obligatoire”. Copenhague marque le retour du débat Nord-Sud à un niveau que l’on n’avait pas connu depuis les indépendances » , constate Pierre Radanne, qui participe aux négociations internationales sur le climat depuis leur origine. En effet, il est désormais impossible de stabiliser la dérive sans la participation active et négociée des grands pays émergents, entre autres. L’idée est contenue dans la feuille de route que les scientifiques du Giec ont livrée aux nations : aux pays du Nord l’effort principal – de 25 à 40 % de réduction des émissions d’ici à 2020 –, alors qu’il serait bienvenu que le Sud en ralentisse la croissance de 15 à 30 %.

La Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud viennent d’ébaucher un premier front des « forts du Sud », en signant une déclaration commune. Conscients de leur poids, ils ne feront pas de cadeau au Nord et précisent leurs exigences de base : pas d’objectifs contraignants pour le Sud, et des financements pour l’aider à s’adapter au dérèglement, particulièrement pour l’Afrique et les petites îles.

Il faudrait pour cela au moins 110 milliards d’euros par an jusqu’en 2020. Le prix de la justice climatique ? Pas tout à fait.
Encore faudra-t-il s’assurer qu’elle soit rendue non pas à des États mais aux peuples touchés dans leurs droits par le dérèglement (manque d’eau, inondations, migrations, etc.) ; qu’il s’agisse d’argent sonnant et trébuchant, plutôt que de s’en remettre aux marchés financiers pour lever les fonds ; et que l’on soutienne résolument les pays du Sud dans l’invention d’un modèle de plus en plus sobre en carbone : agricultures autonomes, s’appuyant sur les ressources et les marchés locaux (ce qui bénéficiera à la sécurité alimentaire…), exploitation des énergies domestiques (soleil, biomasse), transfert à bas coût de technologies vertes, etc. Du règlement de la dette climatique au démantèlement des vieilles tutelles économiques, il n’y aurait qu’un pas.

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Copenhague, génération climat
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