La RDC dans l’étau du FMI

L’allégement de la dette de la République démocratique du Congo est soumis à des conditions néfastes pour le pays. Cette dette est pourtant odieuse et injuste.

Renaud Vivien  • 14 janvier 2010 abonné·es

Le 11 décembre, la République démocratique du Congo (RDC) a conclu un accord de financement de trois ans avec le FMI, après avoir cédé à toutes les exigences de ses bailleurs de fonds. D’abord, en révisant sous la pression du FMI un contrat conclu avec la Chine que les puissances occidentales voyaient d’un mauvais œil, puis en s’engageant à encore améliorer le « climat des affaires » sur injonction du Club de Paris, un groupe informel réunissant 19 riches pays créanciers, dont les intérêts économiques en RDC sont considérables (voir Politis n° 1078). Les garanties données par le Club de Paris étaient un préalable obligatoire à la conclusion de ce programme avec le FMI ainsi qu’à un allégement de sa dette externe, dont le paiement annuel absorbe un quart des dépenses publiques !

Mais la route est encore longue et parsemée de conditionnalités avant d’atteindre le fameux « point d’achèvement » qui donne droit à cet allégement de dette et qui constitue l’ultime étape de la stratégie PPTE (pays pauvres très endettés) promue par le FMI et la Banque mondiale. La RDC attend cet allégement depuis 2003 mais, pour le « mériter », le gouvernement congolais devra s’attacher, entre autres, au « développement du secteur privé, notamment par la réforme des entreprises publiques […], la protection de l’investissement étranger et l’amélioration de la transparence dans la gestion des ressources naturelles » , indique le communiqué de presse du FMI.
Autrement dit, la RDC doit achever la privatisation de ses secteurs stratégiques (mines, énergie, industrie, transport ),
déjà très largement contrôlés par les transnationales, impliquant le licenciement massif des travailleurs, comme ce fut le cas en 2003 avec un plan de licenciement financé intégralement par la Banque mondiale, qui a violé les droits de 10 655 agents de la Gécamines, entreprise publique minière, qui attendent toujours le paiement de leurs arriérés de salaires et les indemnités prévues par le droit congolais.

« La protection de l’investissement étranger » signifie une interdiction pour les autorités de revoir les contrats miniers conclus illégalement avec les transnationales (sauf si elles sont chinoises !). Rappelons en effet que le Canada s’était opposé à la conclusion d’un accord avec le FMI lors de la réunion du Club de Paris du 18 novembre, où aucun officiel congolais n’était invité. Le but était alors de faire pression sur le gouvernement, qui avait annoncé quelques jours plus tôt la résiliation d’un contrat frauduleux signé avec l’entreprise canadienne First Quantum. L’affaire a finalement été réglée après l’engagement du gouvernement d’améliorer « le climat des affaires »…

Concernant « la gestion des ressources naturelles », le FMI fait reposer la seule responsabilité sur la RDC en omettant le rôle néfaste de sa partenaire, la Banque mondiale, incapable de changer de politique. Selon les ONG Greenpeace, Global Witness et Rainforest [^2] : « En tant que bailleur principal de la réforme forestière congolaise, la Banque mondiale porte une responsabilité particulière pour les résultats médiocres observés à ce jour […]. Les conclusions du rapport d’enquête de 2007 réalisé par le Panel d’inspection [^3], révélant le parti pris de la Banque mondiale en faveur de l’exploitation industrielle, au détriment des communautés locales, semblent avoir été largement ignorées. » Malgré les enjeux liés à la déforestation et au changement climatique, le FMI s’inscrit toujours, à l’instar de la Banque mondiale, dans cette logique de l’exploitation industrielle du bois en transformant un peu plus la RDC en véritable paradis pour les transnationales (…), dont les bénéfices augmentent, culminant en 2008 à 298 milliards de dollars !

Que va gagner la RDC en appliquant toutes ces conditionnalités ? Pas grand-chose : environ 560 millions de dollars étalés sur trois années à condition que le FMI juge satisfaisante l’application de ses politiques. En effet, la RDC est sous haute surveillance puisque le programme triennal est évalué au fur et à mesure de sa mise en œuvre. Au total, six missions d’évaluation du FMI sont prévues, conditionnant le décaissement des différentes tranches financières. L’allégement de la dette dépendra des résultats de la première évaluation prévue en mars 2010. Rien n’est donc acquis, sachant que le précédent accord avait été suspendu par le FMI en 2006 et que l’Ukraine s’est vu refuser en octobre dernier la dernière tranche d’une aide FMI, après avoir adopté une loi augmentant le salaire minimum.

Dans l’hypothèse où le gouvernement congolais fait un sans-faute, il continuera de supporter une dette de 4 milliards de dollars, après l’allégement espéré. La difficulté restera de trouver les ressources financières pour la rembourser, vu que les privatisations imposées par les bailleurs de fonds entraîneront moins de recettes budgétaires. Le gouvernement devra alors se rendetter à moins qu’il ne fasse un autre choix.

Cet autre choix pourrait être de refuser de payer la dette afin d’assurer en priorité les besoins humains fondamentaux de sa population et de se débarrasser de la tutelle néocoloniale des créanciers. Un tel acte unilatéral est fondé en droit international, d’autant que la dette congolaise est une dette odieuse, constituée principalement d’arriérés impayés par l’ex-dictateur Mobutu. Elle n’a donc aucune valeur juridique car les créanciers connaissaient la nature dictatoriale du régime mobutiste. Le Forum sur la corruption, qui s’est ouvert en RDC le 16 décembre, pourrait être une occasion pour les mouvements sociaux congolais d’exiger la mise en place d’un audit de cette dette pour en révéler le caractère illicite et identifier les détournements afin de légitimer la répudiation de la dette et d’exiger la restitution des biens mal acquis. Seulement 3 % des avoirs détournés au niveau mondial ont été restitués à ce jour, malgré la ratification de la Convention de l’ONU contre la corruption par la majorité des pays du Nord, qui consacre la restitution des avoirs détournés comme un principe fondamental du droit international.

[^2]: Lettre ouverte du 3 décembre 2009 adressée à la banque : « La Banque mondiale et le secteur forestier en République démocratique du Congo, feuille de vigne ? »

[^3]: Le Panel d’inspection est l’organe interne de la Banque mondiale chargé d’enquêter sur les violations commises par cette dernière dans les projets qu’elle appuie.

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