Une réforme asphyxiée

La nouvelle mouture de la taxe carbone s’enlise dans les complications. Sera-t-elle abandonnée ?

Patrick Piro  • 28 janvier 2010 abonné·es

Peut-on rapiécer une passoire ? C’est l’exercice auquel a tenté de se livrer le ministre de l’Écologie, Jean-Louis Borloo, en présentant la semaine dernière une version bricolée de la taxe carbone retoquée en décembre par le Conseil constitutionnel car elle était inégalitaire. Modification majeure du texte : les 1 018 plus gros émetteurs industriels de gaz, précédemment exonérés parce qu’ils sont soumis au système européen de quotas d’émissions de CO2, devront désormais payer.

C’est ainsi près de 70 % des émissions qui seront taxées, contre moins de 50 %. Mais rien n’indique que le gain environnemental sera en proportion. En effet, le ministre aimerait que les secteurs « sensibles » profitent de « dispositifs spécifiques » afin de « préserver leur compétitivité » vis-à-vis de la concurrence européenne. Grâce à un crédit d’impôt ou à un système de bonus-malus pour les entreprises qui engageront des investissements « verts ». Et tout serait à revoir dès 2013, puisque certains de ces gros industriels devront acheter leurs quotas… Par ailleurs, l’agriculture, la pêche ou les transports de marchandises restent exonérés, tout comme la production d’électricité. Et rien ne change non plus pour les particuliers : ils contribueront tous, à raison de 17 euros par tonne de CO2 émise, prélèvement plus ou mois compensé par un crédit d’impôt. Dans un communiqué, la députée Martine Billard, ex-Verte ralliée au Parti de gauche, relève que les plus démunis vont donc continuer « à payer pour des dépenses contraintes – logement, transports –, sans que la collectivité n’offre d’alternatives à travers une planification écologique d’ensemble – isolation des bâtiments, urbanisme compact et dense, développement du ferroutage et des réseaux de transports publics ».

Déjà peu lisible, la taxe prend des allures d’usine à gaz. Et cette nouvelle version, retournée au stade de simple proposition, n’est même plus un projet de loi : le gouvernement, qui tient à sa taxe, a choisi de temporiser après la gifle du Conseil. Jean-Louis Borloo propose ainsi aux industriels, partenaires sociaux et ONG environnementales de ­débattre à partir de février. Mais uniquement sur les modifications introduites, pour une adoption après les élections régionales, et une possible entrée en vigueur en juillet prochain. À moins qu’il ne s’agisse de préparer l’enterrement d’une réforme centrale mais déjà impopulaire avant même d’être née, plombée par la méthode clientéliste Sarkozy. Le Medef en est bien aise : il souhaiterait que le projet soit différé à 2011, et que l’on attende même la taxe carbone européenne. En chantier depuis des mois, elle n’est pas près de voir le jour…

Écologie
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