Sanofi préfère les profits

La logique financière domine les décisions de Sanofi-Aventis, au point de supprimer 1300 postes
de chercheurs. Ceux-ci ont manifesté le 16 février pour protester contre cette politique subventionnée par l’État.

Léa Barbat  • 25 février 2010 abonné·es

Place du Président-Édouard-Harriot dans le VIIe arrondissement de Paris. Le 16 février, la sono d’une camionnette balance de la musique, une femme distribue des déguisements de chercheur. Venus des quatre coins de la France, les délégués syndicaux de Sanofi-Aventis s’équipent de charlottes et de blouses blanches. Symboles du malaise ambiant, une majorité des salariés présents sont des chercheurs, qui ont été refoulés à quelques rues de l’entrée de la Maison de la chimie, où Christopher Viehbacher, patron de Sanofi-Aventis, déjeune avec les députés des régions où les sites du groupe sont implantés. La première entreprise pharmaceutique française, et la seconde européenne, y a présenté le détail des 3 000 suppressions d’emplois, dont 1 300 dans la recherche. Par un raccourci extraordinaire, Christopher Viehbacher confirme aussi un bénéfice record de 8,4 milliards d’euros engrangés en 2009.

Depuis la mi-décembre par endroits, ou début janvier, les salariés du groupe sont donc fortement mobilisés pour obtenir quelques garanties sur le devenir des sites menacés. La pomme de discorde entre Sanofi et ses salariés porte le nom de « Transforming », un plan de restructuration amorcé en 2008, et prévu jusqu’en 2013 pour dégager une économie de deux milliards d’euros sur cinq ans. Dans un communiqué, la CGT estime que les économies réalisées entre 2008 et 2010 représentent déjà 30 % de la somme avancée par la direction. Il en reste donc 70 % à faire jusqu’en 2013, qui passeront, selon les syndicats, par 6 000 suppressions d’emplois supplémentaires.

De son côté, le géant pharmaceutique justifie son plan de restructuration par l’expiration prochaine de ses brevets et la concurrence des génériques. Sanofi-Aventis déplore également un temps de recherche qui peut durer jusqu’à dix ans, sans aucune garantie de résultats. C’est donc dans les laboratoires que l’entreprise restructure : le groupe ferme 4 sites sur les 12 implantés en France et en vend un cinquième, celui de Porcheville. « Sanofi, ça va devenir Carrefour : on va lui apporter les produits et il va les vendre » , résume avec ironie Laurent, chercheur toulousain.

Les fermetures annoncées des sites de recherche s’inscrivent dans une politique d’externalisation, l’entreprise préférant acheter des molécules exploitables à des laboratoires privés ou, entres autres, à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). « Un partenariat de recherche public-privé a été annoncé le 17 février, mais on n’en connaît pas vraiment le contenu. Sanofi engage 50 millions d’euros sur cinq ans, mais récupèrera 60 % de cette somme sous forme de crédit d’impôt recherche », explique Thierry Bodin, coordinateur syndical CGT de Sanofi. Ce qui permet à l’industriel d’abandonner une grande partie de ses études sur le système nerveux (dépression, schizophrénie, etc.) et sur la lutte contre le cancer. Ainsi, le site de Montpellier, spécialisé dans l’étude des maladies cancéreuses (oncologie) fermera ses portes. Il ne resterait en France que Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), les études sur le cancer étant laissées au site américain de Cambridge.

De plus, Sanofi-Aventis a mis une énorme pression sur les salariés : si les chercheurs n’obtiennent pas de résultats en trois ans, ils seront, selon le discours officiel du groupe, « comparés ». Pascal Collemine, délégué syndical CGT de Sanofi Vitry, y voit une mise en concurrence des chercheurs et déplore les conditions de travail qui en découlent : « On ne travaille plus dans la sérénité. Les chercheurs sont démotivés. Ça fait vingt ans qu’on subit des plans de restructuration. La recherche, c’est long, et Sanofi privilégie des politiques à court terme. » Hélène [^2], chercheuse depuis une vingtaine d’années, est un exemple éloquent de cette politique : « Je fais partie des C2A [Cessations anticipées d’activité, NDLR]. J’aime mon travail, mais je ne peux plus l’exercer dans ces conditions. Les chefs de projet changent tout le temps. À chaque fois, il faut repartir de zéro. Je travaillais dix heures par jour avec la pression du résultat. Si on ne trouve pas, on est mis en concurrence. »

Face à cette logique purement financière, les résultats aléatoires de la recherche ne font pas le poids. Pourtant, elle ne représente que 15 % des dépenses de Sanofi-Aventis. Mais voilà, l’entreprise préfère maintenir les dividendes des actionnaires, qui ont augmenté de 10 % grâce aux ventes du vaccin anti-H1N1 (465 millions d’euros de recettes). Une deuxième vague de pandémie (grippe saisonnière) devrait maintenir à flot les bénéfices envisagés pour 2010. La CGT indique que les actionnaires percevront cette année presque 3,1 milliards de bénéfices sous forme de dividendes. Ce qui n’empêche pas Sanofi-Aventis de toucher plusieurs dizaines de millions d’euros au titre du crédit impôt recherche, comme l’a souligné le collectif Sauvons la recherche, et d’être un candidat sérieux pour bénéficier de l’emprunt Sarkozy.

[^2]: Le prénom a été changé.

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