Le sourire du Cavaliere

À travers un panorama
du petit écran italien,
Erik Gandini livre un portrait en creux de l’ère Berlusconi.

Jean-Claude Renard  • 11 mars 2010 abonné·es

Fin de soirée à la télévision. Il y a trente ans. Un animateur pose une question, un téléspectateur au bout du fil répond. Une pin-up enlève un vêtement à chaque bonne réponse. Succès d’audience. Les ouvriers veillent tard, les patrons râlent le lendemain matin. Personne ne sait encore que la télé de Berlusconi vient de gagner le petit écran. Une télé qui ne manque pas de cul ni de seins nus. Aujourd’hui, la télé du président du Conseil est devenue un empire médiatique, lequel a propulsé son patron à la tête de l’État. Résident suédois, Erik Gandini est né et a vécu en Italie. Suffisamment longtemps pour revenir sur cette « télé expérimentale » servie aux Italiens depuis trois décennies. S’introduisant dans les lieux stratégiques, il y revient sous forme de promenade, entre images actuelles et archives, ponctuée de rencontres significatives.

À commencer par un ouvrier qui se rêve en Jean-Claude Vandamme, vit pour son corps et pour passer à la télé, « qui vous rend immortel ». Il n’est pas seul. Des centaines de personnes, chaque jour, se pressent au quartier général de la télé de Berlusconi, en banlieue de Milan, pour y être auditionnées, participer à un jeu, espérer la présentation d’une émission. S’y bousculent surtout des femmes au devenir de « veline », c’est-à-dire des show- girls, celles-là même qui retiennent le téléspectateur, l’empêchent de zapper. Au reste, c’est l’une d’elles qu’a choisie il Cavaliere pour être son ministre de l’Égalité des chances. Le statut de velina, c’est l’argent facile, les paillettes, les lumières. C’est à Lele Mora, agent de télé influent, trogne de mafieux, de transformer le rêve en réalité. Il est proche de Berlusconi, fan de Mussolini, le dit ouvertement face à la caméra. Avec lui, le piètre anonyme passe au rang de vedette. C’est aussi dans son cercle que l’on observe que télévision et pouvoir sont indissociables. En ce sens, le sourire de Berlusconi est le reflet parfait du système, alliant sans scrupule politique et divertissement, crétinisant les masses, des programmes aux publicités – des pubs parfois à sa gloire.

Aujourd’hui, souligne le réalisateur, « avoir une forte personnalité rapporte gros dans ce pays dominé par la télévision » . Avant de conclure sur ce banc-titre : « Dans le classement mondial de la liberté de la presse, l’Italie se situe au 77e rang. En matières d’égalité des sexes, l’Italie occupe la 84e place mondiale. Et pour 80 % des Italiens, la télévision est la principale source d’informations. » C’est ça, l’ère Berlusconi.

Médias
Temps de lecture : 2 minutes