Retraites, croissance, partage des richesses

Jean Gadrey  • 4 mars 2010 abonné·es

L’avenir des retraites est encore trop souvent questionné en oubliant le plus grave des risques à venir, qui a déjà commencé à se manifester : l’impact de la crise écologique sur l’humanité. Les divers scénarios de financement des retraites d’ici à 2050 supposent presque tous une croissance économique indéfinie. Dès lors que la « richesse nationale » à population identique serait, par exemple, deux fois plus importante en 2050 qu’en 2010 (soit une croissance moyenne de 1,8 % par an), il n’y aurait, nous dit-on, pas de vrai problème de financement à terme : si le « gâteau » grossit, on peut en distribuer une plus grande part aux retraités, dont le nombre relatif augmente, sans rien retirer à personne, voire avec une progression du pouvoir d’achat des actifs. On sait pourtant que le gâteau, de plus en plus toxique, est potentiellement explosif. Le monde que nous allons laisser derrière nous risque d’être invivable si l’on persiste dans la voie du « toujours plus de quantités » (ce que mesure la croissance). Il serait temps d’anticiper en remplaçant la croissance par une autre vision, plus qualitative, du progrès social.
Pour les retraites, la réponse s’appelle le partage des richesses. Pas seulement les richesses marchandes. Le pouvoir d’achat des retraites est très important, surtout pour les petites et moyennes retraites, qu’il faut défendre contre la régression programmée. Mais il faut aussi développer des services hors logique marchande (santé, culture et sport, transports collectifs…) et l’accès à des richesses non économiques (temps libre, liens sociaux, participation citoyenne, richesses naturelles…) pour fonder le « bien-vivre » des retraités dans un monde soutenable. En isolant le pouvoir d’achat, on confond le « pouvoir de bien vivre » avec ce qu’on peut se payer, on conforte la marchandisation du monde version troisième âge.

Voici quelques pistes pour raisonner autrement. Il faudrait :
• Privilégier les ingrédients du bien-vivre des retraités dans une société soutenable. Ce sont à peu près les mêmes que pour les actifs (à l’exception du travail rémunéré). S’agissant, par exemple, du « grand âge », l’association Babayagas milite pour des modes de vie fondés sur quatre piliers : autogestion, solidarité, citoyenneté et écologie. Cela implique certes des ressources financières, mais de façon sobre et partagée. Pourquoi ne pas mobiliser des valeurs semblables pour l’ensemble des retraités ?

• Un revenu maximum pour tous les citoyens, multiple raisonnable d’un revenu minimum décent pour en finir avec la pauvreté monétaire, dont celle des seniors (notamment les femmes). Ce serait économiquement, socialement et écologiquement efficace.

• Réfléchir à la fois au financement des pensions et à celui de services collectifs gratuits ou fortement subventionnés, publics ou associatifs, dédiés à l’amélioration de la qualité de vie des seniors et à leurs activités dans la cité, ce qui serait décisif pour les personnes à revenus modestes.

• Produire des richesses économiques autrement, sans croissance quantitative, mais avec une progression de la qualité et de la durabilité, sources de valeur ajoutée et d’emplois. Une société de plein-emploi sans croissance des quantités est possible ( Politis n° 1090) en développant conjointement durabilité et partage équitable du travail.

• Le droit à une retraite de bonne qualité à 60 ans. Ceux qui défendent cet acquis ont d’excellents arguments. Ajoutons-en un : l’écologie. La retraite à 60 ans reste un outil majeur à la fois de partage du temps de travail (quand il y a quatre à cinq millions de personnes au chômage ou en sous-emploi) et de relativisation de l’emprise excessive du travail et de l’économie sur la vie et sur la nature. Ce ne sont pas les activités bénévoles d’utilité sociale et écologique qui manquent pour les « seniors associés ».

• Dresser un bilan des dizaines de milliards récupérables annuellement sans croissance quantitative en prenant l’argent là où il est : les hauts revenus (qui ont bénéficié de dix ans de cadeaux fiscaux énormes), l’excès de profits, la spéculation, la fraude fiscale, ainsi que les niches et paradis fiscaux.

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