L’Aube se lève contre le nucléaire

Dans l’Aube, Michel Guéritte s’oppose à la création d’un centre de stockage de déchets radioactifs. Il affronte un procès pour outrages qui vise surtout à intimider la résistance qui s’est organisée.

Christine Tréguier  • 15 avril 2010 abonné·es
L’Aube se lève contre le nucléaire

« Je ne suis pas assez idiot pour menacer des élus en de tels termes ! » , s’exclame Michel Guéritte. Mercredi 7 avril, le militant antinucléaire « couillu » – comme il se définit – et professionnel de la communication avait à répondre d’une plainte pour outrages, faux et menaces de mort. Les requérants : deux maires de l’Aube, Joëlle Pesme (Pars-lès-Chavanges) et Jean-Louis Caillet (Auxon), dont les communes sont candidates à l’accueil du futur centre de stockage de déchets nucléaires « faible activité, vie longue » (FA-VL) de l’Andra. Guéritte les aurait traités de « maires stupides-cupides » et aurait menacé de brûler leurs mairies.

Curieusement, la plainte a été déposée en août dernier, soit plus d’un an après les faits incriminés, qui ­remontent à juin 2008. Les ­anti­nucléaires de Champagne-Ardenne ferraillent alors contre la poubelle FA-VL de l’Andra, saturés d’atomes : la région est déjà dotée de la centrale de Nogent-sur-Seine (Aube), du laboratoire de déchets hautement radio­actifs et à vie longue de Bures (Haute-Marne) et des décharges pour déchets faibles à moyenne activité et vie courte de Soulaine et Morvilliers (Aube). Échaudée par l’opposition rencontrée lors de la construction de ces dernières, l’Andra lance un appel à candidatures auprès de 3 115 communes à la géologie accueillante [^2]. En juin 2009, elle sort deux noms de son chapeau : Auxon et Pars-lès-Chavanges. Mais les populations, non consultées, ont été informées des risques. Les manifestations organisées par l’association la Qualité de vie (QV), fondée par Michel Guéritte en 2006, prennent de l’ampleur, et les deux conseils municipaux revotent… contre le projet. L’Andra va devoir choisir un nouveau site ! Les édiles sont furieux de perdre la manne de l’atome, et Caillet démissionne. Il devient alors urgent de faire pression sur Guéritte et sa troupe, d’autant qu’ils rappliquent à Bures pour contrer le site définitif d’enfouissement qui doit succéder au laboratoire.
Natif de Ville-sur-Terre (à 5 km de Soulaine), le militant a fait le lien entre rejets radioactifs et augmentation des cancers chez les villageois alentour. Lorsque l’Andra lance sa consultation, il harangue les populations, appelle à manifester et interpelle les élus ^3. La veille de Noël 2009, il a droit à une garde à vue puis à une perquisition, sans succès : les gendarmes recherchaient des trèfles jaunes (emblème des antinucléaires), abondamment collés sur les panneaux de la Route touristique du champagne, mutée en « Route des déchets nucléaires ».

Lors de l’audience du 7 avril, l’avocat de l’accusé, Me Busson, argue que le langage de son client n’est que métaphore pour alerter l’opinion. Au dossier, deux vidéos exposant de vifs échanges entre Joëlle Pesme et Michel Guéritte, qui reconnaît avoir évoqué le risque que « l’on » brûle des ­mairies, d’exaspération. Dans le contexte, des provocations, au pire, et point de menace de mort.

« Et pourquoi ne pas avoir attaqué plus tôt ? » , demande l’avocat à Joëlle Pesme. « J’avais peur, répond-elle, mais on m’a dit de porter plainte. » « On », révélera son avocat, c’est le directeur de l’Association des maires de l’Aube – présidée par François Baroin, député-maire UMP de Troyes –, laquelle voit sans doute d’un mauvais œil que des revenus de l’atome transhument vers un département voisin. Le procureur, après avoir pris la peine de préciser qu’il ne s’agissait pas d’un procès politique et que les magistrats présents n’étaient pas pronucléaires, a requis une peine symbolique d’un mois de prison avec sursis et 300 euros d’amende. Lecture du délibéré le 18 mai.
« Ce n’est pas mon procès, c’est celui de tous ceux qui ne veulent pas que l’Aube devienne la poubelle nucléaire de la France » , conclut le prévenu, pas intimidé. De fait, les antinucléaires sont repartis au combat : le jour même du procès, l’Andra annonçait que les fameux FA-VL en souffrance de poubelle seraient provisoirement stockés à Morvilliers, décharge déjà quasi-pleine et non équipée pour ce type de déchets…

[^2]: Voir Politis n° 1058.

Écologie
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

Le changement climatique fait de plus en plus de victimes
Décryptage 3 novembre 2025 abonné·es

Le changement climatique fait de plus en plus de victimes

À l’approche de la COP 30, la crise climatique continue de s’aggraver. Si le phénomène s’intensifie, l’injustice climatique, elle, demeure. Pendant que les plus vulnérables sont en première ligne, une minorité d’ultra-riches continue d’alimenter ce dérèglement.
Par Maxime Sirvins
Dans l’archipel du Bailique, au Brésil : « Je crois qu’ici, tout va disparaître »
Reportage 3 novembre 2025 abonné·es

Dans l’archipel du Bailique, au Brésil : « Je crois qu’ici, tout va disparaître »

Au nord de Belem où se tient la COP 30, l’archipel du Bailique est en train de disparaître, victime de l’érosion des terres et de la salinisation de l’eau. Une catastrophe environnementale et sociale : les habitant·es désespèrent de pouvoir continuer à habiter leurs terres.
Par Giovanni Simone et Anne Paq
COP 30 : « L’accord de Paris est comme un phare, mais ce n’est pas une baguette magique »
Entretien 3 novembre 2025

COP 30 : « L’accord de Paris est comme un phare, mais ce n’est pas une baguette magique »

Marine Pouget, responsable « gouvernance internationale » pour le Réseau Action Climat, souligne le manque d’ambition des États en matière climatique et appelle à changer le modèle des COP pour aller vers plus de concret.
Par Vanina Delmas
Marie Toussaint : face à la destruction de l’Europe verte, « tenir le coup et se battre »
Entretien 21 octobre 2025

Marie Toussaint : face à la destruction de l’Europe verte, « tenir le coup et se battre »

L’eurodéputée écologiste raconte les coulisses du détricotage en cours du Pacte vert orchestré par la Commission européenne et appelle à une prise de conscience en France.
Par Caroline Baude et William Jean