L’État abandonne ses foyers

Les négociations pour la cession d’Adoma par l’État ont suscité une grève et une manifestation. 
Les syndicats dénoncent le démantèlement de cet opérateur public du logement très social et de l’hébergement d’urgence.

Thierry Brun  • 8 avril 2010 abonné·es

«On était bien encadrés par les gendarmes mobiles alors que c’était une manif bon enfant ! » , raconte Souhayl Attyé, délégué syndical central CFDT d’Adoma, qui s’étonne d’un tel dispositif pour quelques centaines de salariés manifestant dans les rues de Paris, le 29 mars. Ce mouvement social refuse que soit bradé Adoma, outil de l’État le plus important dans le domaine de l’habitat social, qui a succédé à la Sonacotra en 2007. Fait rare, une journée morte a été organisée dans toute la France, à l’appel d’une intersyndicale (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, SUD, CFTC), alors que devait se tenir un conseil d’administration au siège parisien de cette société d’économie mixte, détenue à 57,1 % par l’État.

Son report à une date qui n’a pas été fixée est le énième rebondissement dans une négociation de longue haleine entre l’État et la Société nationale immobilière (SNI), une filiale de la Caisse des dépôts qui détient 28,6 % d’Adoma. Officiellement, la SNI ne souhaite pas accroître sa part dans le capital d’Adoma, mais déclare qu’elle est « disposée à jouer un rôle accru dans la gestion de cette société »  [^2]. Les tractations se poursuivent discrètement pour faire en sorte que la SNI prenne les rênes d’Adoma. « Le conseil d’administration du 29 mars devait mandater Bruno Arbouet, directeur général de l’Agence nationale des services à la personne, pour le poste de directeur général délégué » , explique Souhayl Attyé, qui ajoute que « les postes de directeur des ressources humaines et de directeur financier d’Adoma pourraient être laissés à la SNI. Elle aura ainsi les clés de l’entreprise pour ­mettre en place sa politique » .

La prise de contrôle n’est donc qu’une affaire de temps. Car, depuis plusieurs mois, le gouvernement est à la manœuvre pour que l’État se désengage de cette structure qui regroupe 70 000 logements répartis en foyers et en résidences sociales, 6 000 places d’accueil de demandeurs d’asile, plus de 1 100 places de logements d’urgence, et gère 50 aires d’accueil des gens du voyage. « L’État a su se servir de cet outil indispensable à la question cruciale du logement très social d’urgence dans de nombreuses occasions » , souligne la CFDT, qui indique qu’Adoma s’est occupée du relogement en urgence de personnes sinistrées : « Cela va de l’accueil des anciens combattants marocains à la mise en place de mobile homes pour les sinistrés d’AZF ou des inondations de la Somme, du relogement des Maliens de Vincennes à celui des solliciteurs d’asile de la jungle de Calais. »

Or, les administrateurs salariés de l’opérateur public « redoutent que la SNI adopte une logique de prédateur » . Les syndicalistes ont découvert en décembre que la loi de finances rectificative pour 2009 a modifié la législation concernant l’actionnariat d’Adoma. Éric Woerth, alors ­ministre du Budget, a fait adopter par les députés un amendement ouvrant le capital à d’autres actionnaires, en particulier la SNI. Fort opportunément, un audit de la mission interministérielle d’inspection du logement social (Miilos), rendu la même année, « pointe les besoins de financements d’Adoma et la nécessité de sa recapitalisation, note la CFDT. Instruit à charge, le rapport d’audit identifie les absences de financement ou les retards de versement comme autant d’erreurs de gestion. Il ne mentionne pas le rôle de l’État dans sa responsabilité d’actionnaire et de donneur d’ordre ». L’apport de l’État manquant, l’opérateur se retrouve ­désormais avec de gros besoins : 700 millions d’euros dans les cinq prochaines années pour rénover ses bâtiments, indiquent les dirigeants.
« Comment se fait-il qu’on appelle la SNI pour qu’elle sauve des résidences alors qu’elle se débarrasse de ses propres foyers ? », s’interroge Souhayl Attyé, qui rappelle que les résidents sont des bénéficiaires du RMI, des chômeurs, des retraités et des travailleurs pauvres. En février, à l’issue d’une rencontre entre les négociateurs de l’État et les administrateurs salariés, l’inquiétude est montée d’un cran : « La SNI a été incapable de donner un projet convaincant » , constatent les administrateurs, qui expliquent que « les affirmations de son président [leur] ont fait froid dans le dos tant elles sont éloignées de la réalité qui est la [leur]».

Lors d’une rencontre entre la CFDT d’Adoma et le président du directoire de la SNI, André Yché, les syndicalistes découvrent une « logique de cessions d’actifs pour dégager des financements, marotte de la SNI faisant du logement social un nouveau Monopoly » . Adoma doit dégager « entre 15 et 30 millions d’euros de bénéfice » et faire « des gains de productivité de 10 à 15 % » , à trouver « dans des diminutions de personnel dans les structures ». Le président de la SNI veut aussi vendre « la totalité du locatif pour faire rentrer du cash ». « Sans que cela soit dit, on peut craindre que la gestion de telle ou telle résidence, déficitaire, soit abandonnée », estiment les syndicats, qui rappellent le slogan de Nicolas Sarkozy : « Plus une seule personne sans logement en France. » Un horizon qu’ils estiment compromis avec les projets du gouvernement.

[^2]: La SNI a été, à la fin de l’année dernière, à la tête d’un consortium de 25 bailleurs sociaux qui ont réalisé le plus grand achat de logements jamais conclu en France, soit environ 25 000 logements pour près de 2 milliards d’euros, auprès d’Icade, une autre filiale de la Caisse des dépôts.

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