Navigateur du réel

L’écrivain tchadien
Nimrod réunit dans
l’Or des rivières sept récits dont la puissance évocatrice fait respirer paysages et présences, réelles et fantômes.

Ingrid Merckx  • 3 juin 2010 abonné·es

Les rêves de ma mère. La lampe de mon père. Le chien de mon père. La maison de ma mère… Des titres de récits à la Pagnol, mais un séjour au Tchad, où le soleil ne tape pas mais grille, où la « révolution » maintient une chape de plomb, où les habitants sont frappés de silence et d’hébétude. « Dans quelque quartier qu’on fût, dans quelque ­maison, on se sentait prisonnier d’un cube de verre. La transparente matière, dès que les yeux se posaient assez longuement sur elle, se mettait à transpirer. Les plus audacieux des Ndjaménois disaient que le verre pleurait. » Nimrod revient au pays rendre visite à sa mère, veuve. Lourd de la culpabilité de celui qui s’est exilé, et chargé de mots.

Dans les sept récits qui constituent l’Or des rivières, cet écrivain, né au Tchad, tire ses souvenirs comme on presse un fruit, extrayant un nectar de matières et de pensées, d’autobiographie et de méditations. À « l’excès de confort » de sa vie à Paris, il oppose le pisé de Chagoua, quartier de son enfance, où les murs vivaient, couverts de dessins, et où les corps respiraient, quand le béton les rend « hermétiques » . Et de se livrer à un « poème vespéral » sur la douche que l’on prend nu derrière les maisons, libérant son corps sous l’eau, l’air et le zénith. Il contre l’interdit sur l’exercice physique brandi par les notables qui ne se déplacent qu’en voiture climatisée, « boivent frais, mangent gras » , par un pèlerinage au crépuscule, sorte de « religion littéraire » qui l’entraîne, à pied, vers la maison maternelle, temple où il a « initié tous les départs » . Hommages, et politesse qu’il se rend à lui-même. « Qu’ai-je à faire de ma baudruche sociale si le regard de l’éternel enfant que je suis devait s’émoustiller puis disparaître ? » Autre pèlerinage, celui qu’il entreprend vers la tombe de son père dans « Le retour », le plus beau récit de ce recueil. Ainsi fait-il route vers le Sahel, pays de la révolution, un bidon pour bagage, marchant sur les traces de son père, pasteur, qui ne lui a jamais parlé et dont il comprend, en découvrant la vie qu’il eut lors de sa dernière mission, sa quête d’absolu aux portes du désert, pierres, sable et soleil. Enchanter la sécheresse, c’est la mission que s’est donnée le poète dans ce petit opus qui exhale une prodigieuse puissance d’évocation. « Mon voyage n’avait pour unique objet que celui d’inscrire ma présence dans le paysage. » Et de convoquer l’enfant en lui, « navigateur des deux bords du réel », pour faire jaillir la présence de ses parents, de ses amis d’enfance laminés par l’alcool, de ses anciens voisins, et autres fantômes qui ne l’ont pas quitté.

Culture
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