Derrière l’unanimisme, rien n’est réglé

Les Journées d’été ont mis en lumière des divergences sur les valeurs politiques des militants et sur la candidature d’Eva Joly. Elles pourraient compliquer le rassemblement prévu en novembre. Reportage.

Claude-Marie Vadrot  • 26 août 2010 abonné·es
Derrière l’unanimisme, rien n’est réglé
© PHOTO : PERRY/AFP

En repartant de Nantes samedi dernier, où se tenait leur université d’été, les militants des Verts et d’Europe Écologie étaient satisfaits d’avoir été au moins 2500 à débattre et à profiter du soleil, mais certainement pas aussi unanimes pour l’avenir que l’affirment une bonne partie des journalistes, qui n’ont souvent écouté que quelques responsables bien décidés à s’embrasser publiquement pour préparer le contrôle d’un nouveau parti. Et pour élaborer la mise en place d’une nouvelle organisation au mois de novembre prochain.

Rien n’est réglé et, par exemple, comme l’a montré le débat « passer du rouge au vert », il ne va pas être évident de faire cohabiter ceux qui arrivent du PC, du PS ou des Verts avec les nouveaux venus n’arborant que l’étiquette Europe Écologie. Comment faire – ce fut l’objet d’une autre plénière très suivie sur l’histoire de l’écologie politique – pour parvenir à la coexistence de ceux qui ont une histoire et de ceux qui n’en ont pas ? Tous sont porteurs d’une culture et de pratiques très différentes. Pour ne pas parler de ceux qui, à la suite de Corinne Lepage et de son miniparti, n’ont pas d’ancrage idéologique et cherchent simplement une structure d’accueil parce que la droite ne veut plus d’eux. Mais il est vrai que ces derniers se sont retrouvés dans ­l’affirmation de Daniel Cohn-Bendit proclamant à la tribune que l’écologie n’avait rien à voir avec l’anticapitalisme. Ce qui lui attira la réponse furieuse d’une jeune femme très applaudie : « Ce n’est quand même pas scandaleux de dénoncer le capitalisme ! » Cette contradiction, fondamentale pour de nombreux militants, va peser sur les négociations et surtout sur les décisions qui seront prises dans les régions, à l’abri des séances d’autocongratulation et des effets de tribune applaudis parce que cela fait du bien de se retrouver ensemble.

Côté applaudissements, si Dany récolte les bravos reconnaissants habituellement réservés aux vieux acteurs en fin de carrière lors du dernier tour de piste, il est incontestable que les militants ont ovationné Eva Joly. Elle n’a été détrônée, côté acclamations, que par Edwy Plenel, le fondateur de Mediapart, qui en a été très touché mais qui n’est pas candidat à quoi que ce soit en écologie. Pas d’ovation en revanche pour Corinne Lepage, qui aura du mal à convaincre les militants que les frontières de la future organisation devront reculer jusqu’au ­centre et donc finalement jusqu’à la droite. L’enquête (voir encadré) conduite auprès des militants ayant soutenu les listes électorales d’Europe Écologie lors des européennes et des régionales montre que les adhérents et futurs adhérents voient très ­majoritairement la future organisation comme un parti ancré à gauche. Même si Dominique Voynet, dans une intervention « apaisée », a expliqué qu’il y a de plus en plus « de Verts de toutes les couleurs » . Mais le vert pâle ne semblait pas la couleur préférée des acteurs-spectateurs de ces journées d’été, qui ont prouvé la force du mouvement.

Les nombreux stands tout comme la plupart des débats ont témoigné que les Verts et les militants écologistes en général sont très attachés aux questions locales et régionales : la question du nouvel aéroport de Nantes, par exemple, est mobilisatrice comme le fut, il y a plus de trente ans, la bataille pour la préservation du Larzac. Ces militants sont également très sensibles aux questions de consommation, à la préservation des services publics et à une politique sociale. Position méritoire pour des participants majoritairement classés dans les classes supérieures. Il faut être un peu fatigué politiquement, comme Cohn-Bendit, pour expliquer que la différence entre une retraite à 60 ans et une retraite à 62 n’est qu’une question accessoire et qu’elle n’est pas « le marqueur entre la droite et la gauche ».

S’agissant de la candidature d’Eva Joly à la présidentielle, les écologistes présents à Nantes, même lorsqu’ils reconnaissent ses qualités, sont loin de l’unanimisme véhiculé par les médias et certains responsables autoproclamés d’Europe Écologie. Sur le fond et sur la forme, ils expriment de nombreuses réticences [[Voir notre enquête plus complète sur le blog.)]. Ils craignent un renoncement à certains de leurs fondamentaux. Comme ces écolos Verts et non-Verts venus d’Aquitaine qui pensent qu’il faut d’abord créer le nouveau parti et définir un programme avant de se doter d’un porte-parole électoral qui n’est pas du sérail. Pierre, militant du Nord encarté chez les Verts depuis quatre ans, explique : « Au moment où nos idées commencent à s’imposer ou à se généraliser, ce n’est probablement pas une bonne idée que de mettre en avant une convertie de fraîche date, dont il ne faut pas oublier qu’elle a condamné les agissements des faucheurs d’OGM. Je crains que cette candidature soit non seulement une opération de relations publiques extérieure à notre mouvance, mais également une manœuvre concertée des députés européens souhaitant peser sur la campagne et un programme minimum. » Janine, militante parisienne, n’est pas de cet avis : « Elle est parfaite, sa réputation est sans tache, et elle apprend vite ; elle sera une excellente locomotive pour le mouvement. » « Oui, rétorque une militante du Loiret, mais les Parisiens qui la soutiennent vivent dans l’illusion médiatique. À Paris, les gens traversent sans doute la rue pour lui serrer la main, mais on ne verra jamais cela dans une ville de province, elle n’y jouit pas de la même réputation, et nombreux sont ceux qui ont l’impression ou la certitude qu’en matière d’environnement elle n’est pas qualifiée, qu’elle aura du mal à défendre efficacement nos idées essentielles, notamment sur les questions de transformation économique ou sur la biodiversité et l’agriculture. Nous avons des gens plus qualifiés et plus à gauche chez les Verts, Cochet ou Duflot, pour marteler efficacement ces messages. Avec Eva Joly, nous faisons implicitement des concessions au centrisme. »

Qu’il s’agisse des ateliers consacrés aux transports, à la transformation des métropoles et des banlieues, de l’État sécuritaire prôné par Nicolas Sarkozy, du fichage et de la vidéosurveillance, de la menace climatique, des catastrophes naturelles, de la biodiversité, de l’agriculture, de l’avenir du nucléaire, des énergies nouvelles, de l’éducation, des relations entre les Français et les étrangers, et de toutes les questions qui agitent la société française, les militants présents à Nantes ont fait la démonstration claire que les écologistes, nouveaux comme anciens, ont désormais une maîtrise complète des changements qu’ils veulent faire partager aux Français et au reste de la gauche. Reste à savoir ce qui restera de ces avancées unanimes dans la synthèse qui devra être faite au mois de ­novembre, lors de la création de la nouvelle organisation, face aux exigences des responsables tentés par un néocentrisme « attrape-tout » et face aux militants venus du communisme et de l’extrême gauche.

Politique
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