Dehors les pauvres !

Christine Tréguier  • 23 septembre 2010 abonné·es

Foin de la légalité, de Viviane Reding qui véhémente et des menaces de poursuite brandies par la Commission européenne : en France, on a la politique discriminatoire qu’on veut. Les camps de Roms s’expulsent à la pelle, et la Loppsi 2 va encore faciliter la tâche aux sbires d’Hortefeux. Le gouvernement a glissé dans ce fourre-tout sécuritaire un article 32 ter A, qui va permettre aux préfets, en cas d’ « installation illicite en réunion sur un terrain » public ou privé, de virer les indésirables sous 48 heures et de nettoyer toute trace de leur passage. Il suffira d’évoquer « de graves risques pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques », et le tour sera joué. Sans passer par un juge. Lors de la discussion du texte au Sénat, l’opposition a tempêté contre l’indignité de cette chasse aux Roms et rappelé la récente résolution du Parlement européen qui demande à la France de suspendre immédiatement toutes les expulsions de Roms. Rien n’y a fait. Hortefeux s’est contenté de remettre l’Europe à sa place et d’affirmer : « Le principe que j’entends faire respecter est le principe constitutionnel du droit de propriété. » Curieux, car l’article en question en fait peu de cas. Il y est dit que, « le cas échéant, [la mise en demeure] est notifiée au propriétaire ou titulaire du droit d’usage du terrain ». Lequel dispose, comme les occupants, de deux jours pour déposer un recours devant le tribunal administratif, si tant est qu’il ait vu l’affichage en mairie ou sur le terrain. Et il sera alors de fait tenu de faire cesser les troubles.

Un vicelard amendement 404 du gouvernement a même failli ajouter les « locaux » aux terrains expulsables. Parce que, explique-t-il, « l’expérience montre en effet que des bâtiments font souvent l’objet d’occupations illicites » . Les associations de défense des mal-logés, qui avaient flairé dans cet ajout la fin programmée des squats et des occupations dont sont coutumiers le DAL et Jeudi noir, sont allées camper devant le Sénat vendredi après midi. Dans Libération , la Fondation Abbé-Pierre a exigé « le retrait pur et simple de cet amendement et la préservation du droit lié à l’état de nécessité » et rappelé la nécessité « d’organiser des réponses avant de renforcer les mesures administratives sécuritaires souvent sans considération des situations humaines de ceux qui s’y voient contraints » . Pas sûr de son coup, le ministre de l’Intérieur a préféré retirer le 404, qui pourrait revenir devant l’Assemblée. Car, en l’état, le 32 ter A suffit aux expulsions expéditives des installations de fortune des Roms et de certains campements de gens du voyage. Mais pas que. Il aidera aussi les préfets à faire disparaître les cabanes et tentes de SDF, les yourtes, tipis, caravanes, mobile homes et autres nouveaux habitats précaires que l’on ne saurait voir, surtout dans les arrondissements chics et les départements du sud de la France. Tout cela sans perdre de temps avec une procédure judiciaire, la trêve d’hiver, et que les maires et les propriétaires soient d’accord ou non. Décidément, dans la France des préfets, on n’est plus maître chez soi.

Transcription des débats au Sénat.

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