ETA : l’adieu aux armes ?

L’ensemble de la gauche indépendantiste a demandé à ETA de renoncer définitivement à la lutte armée, trois semaines après que cette organisation a annoncé un cessez-le-feu.

Jean Sébastien Mora  • 30 septembre 2010 abonné·es
ETA : l’adieu aux armes ?
© PHOTO : GILLENEA/AFP

Capitale historique du Pays basque, Guernica symbolise la résistance des Basques au franquisme et reste tristement célèbre pour sa destruction, le 26 avril 1937, par les aviateurs de la légion allemande Condor. La ville biscaïenne incarnera peut-être un jour la fin politique d’ETA. Pour la première fois de son histoire, l’ensemble de la gauche Abertzale (basque indépendantiste), y compris les partis illégaux en ­raison de leurs liens supposés avec le terrorisme, a demandé publiquement à ETA de renoncer « définitivement aux armes ».

Ces déclarations, le 25 septembre, interviennent vingt jours après la trêve d’ETA, annoncée par une vidéo envoyée à la radio-­télévision britannique, la BBC. La dernière organisation armée d’Europe, si on exclut les groupes d’Irlande du Nord, n’a pas commis d’attentat depuis plus d’un an. Sa base politique, la gauche Abertzale, est plongée dans un débat interne débuté à Altsatsua, en Navarre, où une centaine de militants référents s’étaient réunis à l’automne 2009 pour défendre le principe d’un processus utilisant des voies exclusivement « politiques et démocratiques » . Dans son communiqué de décembre 2009, ETA appuyait timidement la démarche. Le cessez-le-feu du 5 septembre est le fruit de longues tractations entre ETA et sa base politique, mais il était pressenti depuis des mois. « Dans les organisations indépendantistes, un consensus est aujourd’hui établi autour d’un modèle de lutte politique – mobilisation sociale ou alternative institutionnelle – qui est mis en difficulté du fait des activités d’ETA », analyse Mario Zubiaga, professeur en sciences politiques à l’UPV (université du Pays basque) de Bilbao. Les derniers attentats, particulièrement violents et arbitraires, commis par ETA constituent aujourd’hui une force de répulsion dont pâtit le mouvement Abertzale.
Invoquant le terrorisme, Paris bloque systématiquement les initiatives institutionnelles en Iparralde, le pays basque français. Conséquence de l’illégalisation de Batasuna – qui représente 10 à 18 % de l’électorat –, en 2003, la Communauté autonome basque a échappé au PNV (parti nationaliste basque) au profit du PSOE (le parti socialiste espagnol), pour la première fois depuis sa création. Longtemps accusé d’être la vitrine politique d’ETA, Batasuna est l’un des protagonistes principaux de l’accord de Guernica : « ETA résulte de conflits politico-historiques très anciens, que l’on peut faire remonter aux guerres carlistes du XIXe siècle. »
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La stratégie militaire apparaît ­désormais comme *« contre-productive »,
insiste à son tour Peio Etcheverry-Ainchart, historien, élu et porte-parole d’Abertzaleen Batasuna, parti signataire de l’appel de Guernica. Fait remarquable, c’est au nom de cette même efficacité politique que, fin 2008, quatre figures d’ETA, dont l’ancien leader de l’organisation Txelis, José Luis Álvarez Santacristina, détenu depuis 1992, ont fait ­connaître leur analyse critique de la stratégie actuelle. Pour ces derniers, une voie démocratique doit être défendue afin de rompre le cercle vicieux « souffrance-répression ». L’arbitrage du conflit par une commission internationale reste également un élément déterminant si l’on tente de comprendre cette nouvelle phase politique. Le choix de la BBC n’est pas anodin : ETA a exprimé ainsi au travers d’un média aussi prestigieux sa volonté de prendre à témoin la communauté internationale. En effet, ces derniers mois, une nouvelle déclaration en faveur d’une résolution du conflit basque avait été signée par une vingtaine de personnalités internationales de premier plan, dont quatre prix Nobel de la Paix. De plus, le 29 mars, plusieurs eurodéputés avaient demandé à « tous les protagonistes du conflit » d’agir « avec responsabilité » , suggérant à Madrid qu’elle profite de sa présidence de l’UE pour faire de même. Depuis le cessez-le-feu, le gouvernement espagnol, notamment le ministre de l’Intérieur, Alfredo Pérez Rubalcaba, reste très critique en affirmant régulièrement « qu’ETA n’est pas disposé à abandonner la lutte armée ». Madrid souhaite maintenir sa ligne de fermeté à l’égard du groupe séparatiste.

Certes, le contenu et les modalités avancées dans le communiqué d’ETA autorisent un certain scepticisme. Mais, aujourd’hui, que ce soient les spécialistes internationaux ou la société civile basque, on s’interroge sur les aspirations réelles du gouvernement espagnol en matière de paix. En mars 2010, la condamnation d’Arnaldo Otegi à deux ans de prison ferme avait marqué les esprits. À la tête de Batasuna, Otegi était un interlocuteur de choix car il avait pris ses distances avec la stratégie d’ETA et représentait la frange la moins « dure » de sa formation politique. Mais surtout, le 15 septembre, soit dix jours après l’annonce de la trêve, Madrid réanimait les tensions en répondant au processus de paix engagé par une vague d’arrestations au sein de la plateforme indépendantiste Ekin. Et, ce mardi, la police espagnole procédait à l’arrestation de 7 militants d’Askapena, organisation considérée par Madrid comme la branche de propagande à l’étranger d’ETA. « Le gouvernement espagnol recherche le statu quo, regrette Inaki Barcena, professeur de sciences politiques à l’UPV de Bilbao, un terrorisme de basse intensité lui convient, comme une variable d’ajustement. Cela fédère les électeurs autour de la menace d’un ennemi commun et légitime les dérives répressives à ­l’encontre des mouvements sociaux. » Amnesty International dénonce régulièrement les autorités espagnoles pour « torture » et « violation du droit à un procès équitable » à l’encontre de militants basques, écologistes ou d’extrême gauche.

Un autre cas emblématique de la dérive « antiterroriste » de la société espagnole demeure la procédure contre le journal Egunkaria. Acte rarissime en Europe, en février 2003, un juge espagnol ordonnait la fermeture de l’unique quotidien publié en basque. En janvier 2010, la plupart des charges ont été abandonnées par l’accusation.
Depuis dimanche 26 septembre, le lendemain de l’appel de Guernica, dans un entretien accordé au quotidien bilingue Gara, deux membres de l’organisation expliquent qu’ETA est prêt à remplir les conditions énoncées en mars dans la déclaration de Bruxelles en vue d’un cessez-le-feu « permanent et vérifiable ». On compte onze trêves de l’organisation armée mais seulement trois ont été réellement accompagnées par un processus politique majeur : Lizarra-Garazi en 1998, Loiala 2006 et l’actuelle.
« Depuis la mort de l’etarra [militant basque] Argara en 1978, le mouvement indépendantiste basque a obéi à un schéma dans lequel la tête était militaire et incarnée par ETA. Actuellement, le schéma est renversé, et la composante militaire n’est plus le protagoniste principal », explique Martin Aldalur, journaliste à la BBC et correspondant à Londres pour le quotidien basque Berria. Il ne fait cependant pas de conclusions hâtives : « La clandestinité militaire génère une autre logique, fondée sur la primauté du rapport de force et le culte de la radicalité. L’ETA reconnaîtra difficilement sa défaite sans ­contre­partie. » De son côté, l’universitaire Mario Zubiaga est convaincu qu’une rupture prématurée de cette dernière trêve signerait définitivement la fin politique de l’ETA : « La trêve de Lizarra a été concédée par l’ETA à la demande du PNV, la deuxième est intervenue après des pourparlers avec le PSOE [Loiola]. Cette fois, ETA concède ce cessez-le-feu à son ­propre camp : la gauche Abertzale. Il sera maintenant très difficile de la ­rompre sans engendrer un clash violent au sein de sa base » , conclut-il.

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