La gauche allemande dit nein aux 67 ans

Au moment où la droite française cite l’Allemagne en exemple, le Parti social-démocrate remet en cause le recul de l’âge légal de la retraite, voté en 2007.

Rachel Knaebel  • 23 septembre 2010 abonné·es

Le 9 août dernier, l’actuel président du Parti social-démocrate allemand (SPD), Sigmar Gabriel, a publiquement remis en question la réforme allemande des retraites, qui doit faire passer l’âge légal de 65 à 67 ans à partir de 2012 [[La retraite est fixée à 65 ans depuis 1913.
La nouvelle réforme concerne les personnes nées
à partir de 1947. L’âge de départ augmentera progressivement jusqu’à atteindre 67 ans pour celles nées en 1964. Les salariés ayant cotisé quarante-cinq ans pourront toujours partir à 65 ans sans décote.]]. Pourtant, en 2007, seuls onze députés du SPD au Bundestag avaient voté contre la loi. Le ­ministre SPD du Travail du gouvernement de grande coalition, alliant les sociaux-démocrates aux conservateurs de la CDU, Franz Müntefering, l’avait, lui, défendue. Les sociaux-démocrates se trouvent maintenant dans l’opposition, ce qui change beaucoup de choses… Et voilà que le chef du parti met en avant le faible taux d’emploi des 60-64 ans (seulement 33 % ­d’entre eux auraient une activité professionnelle, mi-temps compris) pour demander une suspension de la réforme et éviter ainsi une baisse quasi systématique des pensions. Car le texte de 2007 contient une clause bien précise : le gouvernement s’engage à informer tous les quatre ans, à partir de 2010, sur l’emploi des plus de 60 ans, et à évaluer en conséquence le bien-fondé de la réforme et les mesures à prendre. La première étude détaillée est attendue en novembre. Mais les chiffres déjà disponibles font bondir les opposants à la loi.

Cinq cent mille chômeurs (sur un peu plus de 3 millions) ont entre 55 et 65 ans. L’âge moyen de départ est dans les faits de 63,2 ans. Et près de la moitié (46 %) des travailleurs deviennent retraités avec une pension minorée de 3,6 % par année d’avance sur l’âge légal. Compte tenu du faible niveau des pensions (1 029 euros en moyenne pour les hommes, 594 euros pour les femmes [^2]), la perte est douloureuse.
Le revirement du chef du SPD a suscité des frictions au sein même du parti. Lequel est finalement parvenu à un compromis le 23 août, un mois avant son congrès. Le texte demande une première prorogation de la réforme jusqu’en 2015, et veut assortir sa mise en place d’une condition : que la moitié des 60-64 ans aient un véritable emploi. « Cette décision reflète la continuité de la politique ­sociale-démocrate, assure Anton Schaaf, député SPD au Bundestag en charge de la question des retraites. Lors de la grande coalition, le recul de l’âge légal à 67 ans était une exigence non négociable de la CDU. »

Les Verts, eux, ont voté contre la loi, comme le parti de gauche Die Linke. « Mais nous sommes pour un recul de l’âge légal à 67 ans », explique le député Vert et docteur en économie Wolfgang Strengmann-Kuhn. Le parti écologiste dénonce plutôt l’injustice de certaines modalités (comme l’impossibilité, pour ceux qui ont une incapacité de travail, de partir avant 67 ans sans décote) et l’absence de mesures adaptées pour l’emploi et la lutte contre la pauvreté des plus âgés. « Nous voulons une retraite minimum garantie » , poursuit le député.
Les défenseurs des 67 ans mettent tous en avant l’évolution démographique alarmante du pays (dont le taux de fécondité plafonne à 1,38 enfant par femme). En 2030, l’Allemagne comptera 22 millions d’habitants de plus de 60 ans, soit 6 millions de plus qu’aujourd’hui. Le rapport actuel de 3 actifs pour 1 retraité tombera alors à un peu moins de 2 pour 1.

L’argument n’a pas convaincu la confédération syndicale DGB, qui a toujours refusé la réforme. «  Nous n’avons pas besoin d’un recul de l’âge légal pour financer notre système de retraite, estime Ingo Nürnberger, du comité directeur de la fédération. Nous pouvons agir sur le taux d’activité des femmes, qui reste ­faible, sur l’emploi des jeunes, dont beaucoup sont au chômage ou ne trouvent pas de place d’apprentissage, et par une meilleure intégration des migrants dans le marché du travail. »
Les syndicats et une partie du SPD se rejoignent sur un point : une revalorisation des salaires et la création d’un salaire minimum contribueraient, eux aussi, à sauver les retraites.

[^2]: En ex-Allemagne de l’Est, la retraite moyenne des femmes s’élève à 700 euros, contre 487 à l’Ouest.

Monde
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