Le « lulisme », leçon de gouvernement

Recherche du consensus, pragmatisme, charisme, simplicité…
Le président sortant a inventé un style de gouvernement efficace qui rompt avec bien des traditions, au Brésil comme ailleurs.

Patrick Piro  • 30 septembre 2010 abonné·es

Lula « mythe » du Nordeste, Lula coqueluche des sommets internationaux, Lula alliage entre des partenaires aussi politiquement hétéroclites qu’un Sarney, cacique de l’État du Maranhão et ancien soutien du régime militaire, et les anciens guérilleros du PT qui en ont été les victimes… Existe-t-il un « lulisme », comme le « péronisme » argentin désignait le culte voué à Juan Perón mais aussi sa pensée politique ? Certains contempteurs de Lula voudraient y croire. Mais l’idée résiste mal à l’analyse. Sa cote et son magnétisme sont plus le résultat d’un savoir-faire exceptionnel qu’une construction mégalomane.

Tout d’abord, Lula, ancien syndicaliste rompu à la négociation, excelle dans la recherche du consensus. Son insolente popularité ­montre que sa méthode a réussi. « Aucun acteur de la société n’est exclu, voilà mon héritage » , déclare-t-il un jour. Ainsi le lulisme incarne-t-il un pacte social par défaut : les élites économiques ne lui reprochent presque rien tant il les a caressées dans le sens du poil, et les pauvres encore moins. « Il y a de la place pour tous », autre slogan lulien. Il s’est exprimé dans des coexistences antagonistes : alliés du PT, un ministère de l’Agriculture résolument productiviste et un ministère du Développement agraire soutenant l’agriculture familiale, le mégaprojet de dérivation des eaux du São Francisco pour la grande irrigation dans le Nordeste et le programme « un million de citernes » pour les familles rurales.

Ce qui va de pair avec un pragmatisme constant. « Je suis multi-idéologique » , se moque-t-il pour justifier son adaptabilité. « Préfère-t-on une gauche martyre qui échoue ou une gauche réaliste qui réussit ? », justifie le politologue Alain Rouquié, président de la Maison de l’Amérique latine et ancien ambassadeur au Brésil [^2].
Grâce à un sens politique inné, Lula a pu gouverner avec une stabilité honorable malgré des alliances délicates (jusqu’à droite) : la faute à un système électoral inégalitaire [[Dans l’État de l’Acre, les 300 000 électeurs élisent
8 députés, tandis que dans l’État de São Paulo la même proportion d’électeurs n’en élit qu’un.]], qui a toujours laissé le PT loin de la majorité au Congrès. Dernier « coup » politique de Lula : le choix de sa dauphine. Sans expérience électorale, Dilma Rousseff n’est pas du clan des fondateurs historiques du PT, autant de vertus qui ont permis à Lula de mettre alliés et amis d’accord. Son influence a fait le reste pour imposer dans l’opinion publique celle que les Nordestins nomment, sans malice, « la femme de Lula ».

Opportuniste ? Lula, c’est plutôt le type bardé d’honnêteté, pour le public. Il joue avec sincérité de son histoire : enfant ­pauvre du Pernambouc, émigré à São Paulo avec ses sept frères et sa mère, les petits boulots dans la rue, l’usine… Ce cursus inattaquable lui donne aisance et simplicité à tous les échelons de l’échelle sociale. Lula reçoit régulièrement les sans-terre au Planalto, ou encore, récemment, un groupe de lépreux qu’il embrasse. Le symbole était plus fort que le succès de nos revendications, déclarent-ils. « On n’évalue pas le legs politique de tous les gestes symboliques qu’il a accomplis… » , souligne Cândido Grzybowski. Y compris de s’être autant battu pour décrocher l’organisation de la Coupe du monde de football (2014) et des Jeux olympiques (2016) au Brésil, que Lula, grand amateur de sport, pourrait vivre… au Planalto ! On lui prête en effet l’intention de se présenter à nouveau à la présidentielle en 2014.

[^2]: Auteur du Brésil au XXIe siècle, éd. Fayard, 2006.)

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