« Un choix tactique, mais… »

Dominique Rousseau* pointe les risques du référendum, outil populiste. Le contre-pouvoir doit selon lui s’inscrire dans la Constitution.

Denis Sieffert  et  Noëlle Guillon  • 16 septembre 2010 abonné·es

Politis : Dans la situation actuelle de blocage du dialogue social, la tenue d’un référendum est-elle possible ?

Dominique Rousseau : Sur le plan constitutionnel, un référendum sur la réforme des retraites est parfaitement envisageable. Depuis la révision d’août 1995, en effet, l’article 11 prévoit que le président de la République peut, sur proposition du gouvernement, soumettre au référendum « tout projet de loi portant sur des réformes relatives à la politique sociale de la nation ». Il est évident qu’une réforme sur le régime des retraites telle qu’on la connaît aujourd’hui intéresse directement la politique sociale de la France. En conséquence, oui, le président de la République pourrait demander à ce que ce projet de loi soit soumis à référendum.

Au-delà de l’option tactique face à un passage en force
du président de la République, que pensez-vous du recours à l’instrument référendum ?

En tant que constitutionnaliste, je suis très réservé, pour ne pas dire hostile, à l’idée même de référendum. Il me paraît davantage un instrument du populisme – et ce n’est pas le moment aujourd’hui d’engager cette tendance – plutôt qu’un instrument de la démocratie. Je comprends bien l’intérêt tactique qu’il pourrait y avoir à demander l’organisation d’un référendum. À la fois car il est très improbable que le président de la République accepte d’organiser un référendum, et par conséquent on pourrait dénoncer ce refus, et, dans l’hypothèse où il accepterait, la campagne référendaire tournerait non pas sur l’objet même de la réforme, mais deviendrait « pour ou contre Sarkozy ? ». Une sorte d’élection présidentielle, une personnalisation à nouveau de la vie politique. Mais je pense que cet intérêt tactique serait au bout du compte et à terme préjudiciable à une mutation démocratique qui ne se résume pas dans une opposition mais qui passe avant tout par un espace public où l’on délibère, un espace public vivant. Le référendum porte en lui un aspect publicitaire, on l’a vu encore en Turquie.

Un référendum sur les retraites servirait-il d’alibi au recours
à cet outil sur d’autres sujets ?

Imaginons que le président de la République accepte la tenue d’un référendum sur la réforme des retraites, pourquoi ne pas aller jusqu’à un référendum sur la politique de sécurité, sur le renforcement des peines planchers ? Il y a un risque énorme à jouer sur l’instrument référendum. Or, ceux qui souhaitent aujourd’hui un référendum sur les retraites ne souhaitent pas un référendum sur la politique de sécurité. Il existe là un réel danger, en particulier pour le renforcement d’une véritable démocratie délibérative. C’était également mon sentiment en 2005, lors du référendum sur la Constitution européenne. Je ne pense pas que le référendum soit un instrument de la démocratie, au moins au niveau national. J’ai une position plus nuancée lorsque les référendums sont organisés au niveau local sur des sujets bien précis, où les citoyens sont directement intéressés.

Quelle carte jouer alors quand le quinquennat et le regroupement des élections présidentielle et législatives mettent l’exécutif face à la rue ? Peut-on envisager une modification constitutionnelle ?

Malheureusement, la gauche, d’une certaine manière, est responsable de l’hyperprésidence actuelle. Elle a fait voter le quinquennat et inversé le calendrier en instituant les élections législatives un mois après l’élection présidentielle. De sorte que les élections législatives deviennent secondaires. Les députés sont élus pour permettre au président de la République d’appliquer son programme. Le problème est celui du rééquilibrage des pouvoirs. L’élection présidentielle en elle-même ne conduit pas forcément à une hyperprésidence. On ne voit pas cela au Portugal, par exemple, où c’est le Premier ministre qui décide, ou en Autriche, en Finlande. La question est bien chez nous de cette concomitance des élections présidentielle et législatives, et de l’absence de ­contre-pouvoir dans la Constitution. Il faudrait trouver le moyen d’inscrire dans la Constitution des processus de délibération collective. Par exemple, d’imposer que les lois, avant d’être soumises au Parlement, soient discutées par des citoyens dans des assemblées de circonscription.

Publié dans le dossier
Pourquoi il faut un référendum
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