Une expertise populaire

Ingrid Merckx  • 18 novembre 2010 abonné·es

Politis : Les habitants des quartiers populaires ont fait émerger une cinquantaine de propositions lors des assises nationales des régies de quartier organisées le 9 novembre à Bron (69). Quelles sont leurs attentes ?

Zinn-Din Boukhenaissi* : Elles concernent l’emploi et le logement, mais aussi une reconnaissance de leurs savoir-faire et de leur capacité à être une force de propositions. Leur situation est celle de la relégation. Le sociologue Jean-Pierre Worms a évoqué une « conjuration de fait » . Derrière cela, il y a l’idée que les décideurs s’intéressent peu à ce qui se passe de positif dans les quartiers. Le travail autour de ces propositions remonte aux émeutes de 2005, quand notre ­réseau a décidé d’affirmer une parole politique pour montrer un autre visage des quartiers et valoriser les pratiques des habitants. C’est la première fois que ce réseau – qui existe depuis vingt-cinq ans et regroupe 140 régies implantées dans 220 quartiers (ce qui représente près de 2,5 millions d’habitants) – réalise un tel travail. Le but était de rédiger des fiches synthétisant les propositions des habitants et des acteurs des régies pour constituer un document d’interpellation. Certains sujets ont été des évidences : « Pour un droit de vote et d’éligibilité des étrangers non communautaires », « Pour des conditions de circulation et d’installation dignes des populations migrantes »… D’autres ont fait l’objet de débats, telle la question de l’emploi « durable » au sein des régies. Nous devons à présent intégrer ­d’autres sujets, comme la santé, diffuser largement ce document et le décliner sous forme d’universités populaires afin que le plus grand nombre se l’approprie.

Que proposent les habitants des quartiers populaires en matière de sécurité et de lutte contre la délinquance ?

Ils dénoncent le caractère particulièrement violent des interventions des forces de l’ordre et des pratiques policières humiliantes pour la population, depuis les jeunes jusqu’aux adultes, ce qui est nouveau pour ces derniers ; et la surmédiatisation des drames. En 2005, les mesures de ­couvre-feu et l’expression de paroles indignes ont renvoyé certains à des souvenirs datant de l’époque coloniale. Les propositions des habitants en matière de sécurité relèvent du bon sens : revenir à une police de proximité, remettre à l’ordre du jour les politiques de prévention, augmenter les crédits de la politique de la ville…

Le Comité national de liaison des régies de quartier a cosigné une lettre « pour valoriser la capacité citoyenne des quartiers populaires ». Quelle est cette initiative ?

Avec d’autres acteurs intervenant dans les quartiers populaires, nous avons voulu prolonger la lettre de Claude Dilain, maire de Clichy-sous-Bois, « à ceux qui ignorent la banlieue » . Il partait de son point de vue d’élu, nous voulions insister sur le fait que les habitants sont porteurs d’une véritable expertise qui n’est pas prise en considération. Je ne partage pas le constat d’échec en vogue sur la politique de la ville, même si on peut contester le choix, il y a a quelques années, de projets non prioritaires pour les habitants. Ce qui a échoué, c’est la prise en compte de leur parole, parce que cela réclame des moyens, du temps et une volonté politique locale énoncée avec conviction.

Société
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