A contre-courant / A droite toute, vers l’abîme

Politis  • 2 décembre 2010
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Un an après l’approfondissement soudain de la crise actuelle, au dernier trimestre de 2008, l’élection de Barak Obama à la présidence des États-Unis ne pouvait raisonnablement laisser espérer un changement social radical. Pourtant, au terme des deux mandats de George W. Bush, la nouvelle pouvait susciter, disons, « un certain espoir ». On se prenait à rêver d’un nouveau New Deal. Mais, si l’histoire se répète, il semble que ce soit à rebours. De Roosevelt à Hoover ?

La crise était gravissime. Plus de deux ans après le septembre noir de 2008, les indicateurs sont au rouge. Certes, la production remonte, mais elle n’a pas atteint son niveau antérieur à la chute. Le chômage est toujours là. Aux États-Unis, les nouveaux crédits aux entreprises et aux ménages sont toujours inférieurs aux remboursements.

Fini la crise ? En aucune manière, du moins en Europe et en Amérique du Nord [^2]. Les règles fondamentales du néolibéralisme, notamment celles de la globalisation néolibérale, n’ont pas été remises en question. Il faudra beaucoup plus encore. Mais, au plan des politiques macroéconomiques, le souvenir des années 1930 a joué à fond. Les autorités états-uniennes ont tout fait pour éviter l’effondrement. La banque centrale a soutenu le système financier par une masse colossale de prêts (environ le double des 600 milliards habituellement avancés par la presse). Et cette somme ne s’est pas réduite ; le soutien a changé de forme. Le déficit budgétaire a pris des proportions impressionnantes (11 % de la production du pays). Seul l’État emprunte. La banque centrale des États-Unis s’engage à accroître son financement direct du déficit budgétaire (ladite « planche à billets ») [^3]. Pourtant, la reprise reste lente, et le risque d’un nouveau glissement est considérable. Au lieu du « V » usuel, on parle d’une crise en « W ».

Un autre thème favori de la grande presse surgit ici : la guerre des monnaies. Ainsi voit-on le grand frère d’Amérique souffler aux Européens de venir au secours de leurs États endettés. D’abord en Grèce et maintenant en Irlande (donnée en modèle il y a peu), où le gouvernement vole au secours d’un système bancaire confronté à une crise majuscule. Supposez que l’euro baisse, car les prétendus « marchés » s’inquiètent des dettes publiques ou requièrent d’être mieux rémunérés face aux « risques », et diminuent leurs placements en euros. Cela entraînerait une hausse du dollar par rapport à l’euro (ou une baisse moindre). La reprise états-unienne s’en trouverait menacée. Et, avec une monnaie comparativement plus chère, les États-Unis verraient leur déficit du commerce extérieur s’accroître davantage.

Les électeurs des États-Unis s’impatientent donc. De quel outil disposent-ils pour se faire entendre ? Le vote sanction : voter à droite ou rester à la maison. En l’absence d’une alternative de gauche crédible, l’ignorance et la bêtise triomphent. Ils votent à droite. « Les Républicains vont réduire le déficit public ! » Ainsi, les énergies des gouvernements des États-Unis et de l’Europe convergeraient-elles d’un bord à l’autre de l’Atlantique. À droite toute, vers l’abîme. Les classes populaires en feront les frais. Sans doute faut-il encore davantage de chômage pour venir à bout des protections sociales et casser la dynamique des pouvoirs d’achat. Les travailleurs des États-Unis qui ont voté républicain savent-ils que le néolibéralisme, dans des pays comme l’Argentine ou le Mexique, a réussi à diviser les pouvoir d’achat des salariés par deux ? Ils n’ont pas tout vu.

[^2]: L’Amérique du Nord inclut le Mexique, pas seulement les États-Unis et le Canada. Mais ce pays, lié à ces deux pays par un traité catastrophique, l’Accord de libre-échange nord-américain (janvier 1994), s’est trouvé entraîné dans la même galère et n’est pas près d’en sortir. Tirée vers le fond par celle de son voisin, la production mexicaine a chuté profondément dans la contraction de l’activité.

[^3]: La droite s’emporte, semblant ignorer que la Réserve fédérale finance toujours la dette publique états-unienne. Avant la crise, à hauteur de 790 milliards de dollars ; aujourd’hui, à 810. Un petit accroissement qui va sans doute devenir grand.

Gérard Duménil est directeur de recherche au CNRS.
Temps de lecture : 4 minutes
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