Un univers de clim et de béton

Les négociations sur le climat se tiennent dans un environnement antiécologique au possible. Et un système de sécurité démesuré les tient à l’abri de toute contestation.

Claude-Marie Vadrot  • 9 décembre 2010 abonné·es

ÀCancún, 161 hôtels de béton ont grignoté depuis une vingtaine d’années la mince bande de terre qui fut une zone naturelle extra­ordinaire au bord de la lagune poissonneuse. À leur manière, ils montrent pourquoi l’équilibre climatique planétaire est menacé. Après avoir consommé la nature, ces boîtes à touristes gigantesques dévorent, aidées de magasins de pacotilles et de restaurants clinquants, des dizaines de milliers de kilowatts par jour pour la climatisation, alors qu’à cette époque de l’année la température dépasse rarement 26 °C. Ces hôtels installés sur ce qui reste de plages caricaturent d’autant plus notre monde marchand pris de vertige qu’ils accueillent chaque année des touristes volontaires pour vivre quelques jours entre mer, soleil et béton, en dépensant des fortunes dont une bien faible partie revient aux Mexicains pauvres et dépossédés de leur nature. Cancún, vitrine parfaite d’un monde schizophrène, avec ses affiches vantant le sommet climatique sur fond de néons dans un univers ignorant le piéton. Depuis quelques semaines, toutes les activités sont « vertes », alors que rien n’a changé et que les touristes de la vague hivernale vont bientôt arriver.

Que les Nations unies aient choisi de tenir leur conférence sur le dérèglement climatique dans cet univers artificiel et gaspilleur d’énergie, dans un Disneyland du tourisme moderne, montre ou rappelle « que le monde des négociateurs n’est qu’un monde des mots, un monde qui peine à ­rejoindre la réalité » , comme le décrit Brice Lalonde, ambassadeur de la France pour les négociations sur le climat. Quelles que soient leur bonne volonté ou leur sincérité, les experts ne voient même plus le monde où les « téléporte » la mécanique climatique lancée à Kyoto il y a treize ans. Les Nations unies, prenant exemple sur les G8 puis les G20, prennent donc l’habitude de travailler « hors sol », transportant leurs systèmes à fabriquer du consensus sans plus se soucier de l’environnement. Ils ne prennent désormais en compte que l’obsession sécuritaire, qui balaye tout souci de cohérence écologique, même a minima . La nouvelle éolienne, soigneusement gardée, qui trône près des installations de la conférence, symbole dérisoire des faux-­semblants mexicains et onusiens, n’a même pas été raccordée au réseau.

Pour éviter tous les importuns, les débats se déroulent dans une résidence hôtelière de luxe où se réunissent les délégués, à 30 kilomètres du centre-ville, au cœur d’un parc de plusieurs dizaines d’hectares gardé par l’armée. Impossible de se rendre à ce Moon Palace, qui privatise une plage et une forêt mais se vante de protéger les iguanes, autrement que par les bus officiels. Un accès réservé aux « badgés » filtrés au sein d’un centre d’exposition, le Cancun Messe, situé à plusieurs kilomètres, où sont relégués les stands des ONG, bien moins fréquentés qu’à Copenhague. Les habitants de Cancún n’ont évidemment pas le droit de fréquenter ces lieux : les ONG parlent aux ONG… Quant aux lieux de ­rencontre des alternatifs, ils sont éloignés de plusieurs dizaines de kilomètres du site officiel, et ne sont pas desservis par le réseau de bus dédié à la conférence.

L’impact de cette image écologiquement désastreuse a été délibérément ignoré, car Cancún offrait l’avantage aux yeux des organisateurs de garantir un maximum de sécurité en empêchant la moindre contestation de s’approcher à moins d’une dizaine de kilo­mètres de la conférence. Pour garantir aux délégués une tranquillité absolue, bien que n’aient été annoncés qu’une vingtaine de chefs d’État (contre 126 à Copenhague), 6 000 policiers et militaires ont été déployés dans les rues et les bosquets, lourdement armés, et 15 navires de guerre croisent au large. Cette omniprésence n’aura donc visé jusqu’au bout qu’à réduire tout contact entre la société civile et les délégués officiels : sans accréditation – et elles ont été parcimonieusement distillées –, pas moyen d’approcher du conclave climatisé d’où sortira peut-être, samedi, une vague fumée grise.

_Claude-Marie Vadrot

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