Monde numérique : faites vos jeux !

Christine Tréguier  • 10 février 2011 abonné·es

Depuis le début de l’année, tout le monde veut s’occuper du Net. Sarkozy le premier. Sa volonté de « civiliser » le cybermonde et d’hadopiser la planète n’ayant eu comme résultat que de se mettre à dos la communauté des internautes (et pas que les Français), il revient à la charge façon stratège. Un : il essaie de s’attirer les bonnes grâces de quelques VIP du web 2.0. en les invitant à déjeuner.

Deux : il fait placer un sbire du gouvernement au sein du collège de l’Autorité administrative indépendante de régulation des télécoms (Arcep). Une première pour laquelle la France vient de se faire rappeler au respect des règlements européens par la Commission. Mais cette intrusion a, entre autres intérêts, de permettre au gouvernement, si le projet de « rapprochement » avec les autres autorités indépendantes du secteur – le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), l’Agence nationale des fréquences, voire l’Hadopi – voit le jour, d’avoir l’œil partout. C’est Éric Besson, ministre de l’Économie numérique, qui est à la manœuvre.

Trois : il initie un nouveau comité Théodule, le Conseil national du numérique (CNN), en charge de piloter le développement du secteur en France. Au programme : placer l’économie numérique sur orbite, mettre de l’huile dans la législation et veiller à la protection des données personnelles en ligne. Là encore, c’est Besson qui s’y colle, et qui charge Pierre Kosciusko-Morizet (PKM, frère de Nathalie et PDG de Price Minister) d’organiser non plus un groupe de travail, comme envisagé en décembre, mais une consultation éclair (moins d’un mois) des acteurs pour qu’ils disent ce qu’ils attendent du bidule. À peine PKM a-t-il lancé son appel, la Tribune annonce que l’Élysée aurait demandé à Jean-Baptiste Descroix-Vernier, PDG de Rentabiliweb, invité au cyberdéjeuner présidentiel, de lister des personnalités susceptibles de siéger au CNN. Ça fait désordre ! Pour l’anecdote, Price Minister a été vendu en juin au groupe japonais Rakuten, et Rentabiliweb s’est illustré avec une fausse distribution d’euros qui avait viré à l’émeute. On peut compter sur eux pour donner la priorité à l’Internet-TV-médias-business du futur et faire en sorte que la vie privée des consommateurs n’entrave pas la croissance.

Sur ce même thème, un autre ministre s’agite aussi beaucoup depuis son entrée au gouvernement. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé de la Consommation, affirme avoir un « plan d’action pour une croissance équilibrée du commerce en ligne, respectueuse du consommateur et des professionnels » . C’est la Cnil qui va être contente, elle qui ne cesse d’exhorter les politiques à adopter d’urgence des législations (internationales, bien sûr) protégeant l’internaute des appétits des mastodontes du Net. Lefebvre va le faire… enfin presque. Son cheval de bataille actuel se limite aux « vrais-faux-avis » clients sur les forums de certains sites de vente, qui doivent déjà trembler devant l’imminence des sanctions françaises.

Bref, la « gouvernance » du numérique à la façon de la France – qui se targue de convoquer un G20 sur le sujet – fait bordélique à souhait. Tous ces ministres et leurs attachés de cabinet savent-ils de quoi ils parlent ? Ne risquent-ils pas de se faire embourber par des acteurs soucieux d’abord et avant tout de leurs intérêts, que l’on sait parfois divergents ?
Et si on leur faisait passer, à eux et aux futurs membres du CNN, un bilan de e-compétences, histoire d’être sûrs qu’on peut leur confier notre avenir numérique ?

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