Non aux ailes du délire !

Des militants occupent le site qui doit accueillir le futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes. Ils protestent contre ce projet pharaonique et écologiquement aberrant.

Anne Bertucci  • 24 février 2011 abonné·es
Non aux ailes du délire !

Le toit béant d’une vieille longère est surmonté d’une sorte de vigie. « Là, nous sommes sur l’aérogare, ironise l’un des résidents. Un peu plus loin dans les bois, c’est le barreau routier. » Ils sont une soixantaine de militants à s’être établis en permanence dans le bocage autour de Notre-Dame-des-Landes, le site dévolu au projet d’aéroport du Grand Ouest, à 30 km au nord de Nantes. Écologistes radicaux, libertaires, décroissants : certains viennent du milieu des squats, d’autres du monde salarial. Ils ont choisi d’être là pour « apporter leur pierre à la lutte contre le projet d’aéroport » qui pollue depuis plusieurs années le climat local, entre habitants, militants et élus écologistes d’un côté ; Jean-Marc Ayrault, député maire de Nantes et promoteur du projet avec l’État, de l’autre.

Certains Landais les appellent « les squatteurs » . D’autres, plus respectueux de leur engagement, préfèrent dire « les occupants de la ZAD » . La ZAD, c’est « la zone à défendre » en langage militant. Dans celui des technocrates, c’est la zone d’aménagement différé de la plateforme aéroportuaire, soit 1 600 hectares de bois, de champs et de zones humides, dont maisons et terrains ont été préemptés par le conseil général de Loire-Atlantique. « Lors du camp Action Climat organisé ici à l’été 2009, un appel a été lancé pour occuper les lieux, certains d’entre nous y ont répondu et sont restés » , raconte Rody. Lui a ancré sa yourte sur un terrain qu’il a entièrement défriché. « Des maisons abandonnées ont été remises en état lors de chantiers collectifs. Des cabanes ont été construites avec de la récup. La première fut celle des Planchettes, le lieu-dit où nous nous réunissons tous les lundis. » Cette étendue désolée au cœur de la ZAD abrite quelques caravanes et une cabane habitée. C’est là que tout nouvel arrivant atterrit.

Damien, un jeune boulanger, a installé son fournil près de la cabane qu’il occupe avec Mathilde et son compagnon, au lieu-dit les Cent-Chênes. Le pain qu’il fabrique et vend permet au collectif de créer des liens avec les habitants. « J’ai franchi le pas en septembre pour m’impliquer plus encore dans cette lutte. Les conditions de vie sont rudimentaires. Pour bien le supporter, il faut savoir pourquoi on est là ! » Mathilde, qui a quitté sa vie citadine, le sait parfaitement : « Nous expérimentons un mode de vie alternatif, plus collectif, basé sur l’autogestion et la recherche d’autonomie. C’est aussi ce qui est passionnant. » Cette action de résistance est, pour ces militants, emblématique « d’un rejet radical du système capitaliste et de sa logique fondée sur la destruction, l’exclusion et la peur » . Les mouvements de résistance contre l’installation de centrales nucléaires au Carnet (Loire-Atlantique) ou à Plogoff (Finistère) sont pour eux exemplaires.

Associations et élus locaux opposés à l’aéroport ne voient pas forcément cette occupation d’un mauvais œil. « Il faut jouer la complémentarité en dépit de nos visions du monde assez éloignées. La difficulté reste de bien communiquer avec un collectif sans porte-parole identifié » , explique Dominique Fresneau, coprésident de l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport (Acipa). « Nos cultures politiques divergent, renchérit Mathilde. Chacun a tendance à rester sur des stéréotypes. » Ces différences n’ont pas empêché les opposants, radicaux ou « légalistes », de se retrouver côte à côte, comme le 14 février pour empêcher les forages géotechniques.

Loin des Cent-Chênes ou des Planchettes, la bataille fait rage aussi. La coordination des opposants locaux compte interpeller les formations politiques sur cette énième trahison du Grenelle de l’environnement. Fervent partisan des pistes bétonnées, Jean-Marc Ayrault a pris les devants en cosignant avec les élus socialistes bretons une tribune dithyrambique dans le Monde du 14 février. Quelques jours auparavant, le groupe Europe Écologie-Les Verts mandatait un avocat pour attaquer le contrat de concession passé entre l’État et le groupe de BTP Vinci.
« Je resterai là tant que le projet ne sera pas interrompu » , prévient sèchement Rody devant sa yourte. « Au Mexique, la population a réussi à arrêter le projet d’aéroport d’Atenco. Pourquoi pas nous ? » Sur le terrain ou en coulisses, la « guérilla » ne fait que commencer.

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