« Winter Vacation » : En grande vacance

Petit chef-d’œuvre d’humour absurde, Winter Vacation, du chinois Li Hongqi, met en scène le vide intérieur.

Christophe Kantcheff  • 24 février 2011 abonné·es
« Winter Vacation » : En grande vacance
© Photo : DR

Le cinéma, dit-on, est une fenêtre sur le monde. Il renseigne sur l’état d’un pays, d’une société, et ce d’autant plus que les images enregistrées viennent de loin. La Chine fait partie de ces contrées méconnues, fantasmées par les Occidentaux, que les films d’Edward Yang, Wang Bing ou Jia Zhangke contribuent en effet à éclairer, à représenter. Rien de tel avec Winter Vacation , de Li Hongqi. Ou, plus exactement, le film ne nous livre rien de ce qui a priori pourrait être spécifiquement chinois. On est là face à une abstraction déroutante et envoûtante, signée par un cinéaste dont c’est le troisième long-métrage et qui publie aussi des recueils de poésie.

Winter Vacation (« Vacances d’hiver ») met en scène des lycéens en congés scolaires. Cinq garçons qui ne savent pas quoi faire de leur peau, qui se retrouvent dans une chambre à jauger chacun leur tour la qualité d’un bonnet de laine qu’à l’un d’eux une fille a offert, qui traînent dans le froid, ou conversent, dehors, affalés dans des fauteuils d’appartement dont ils ont au préalable enlevé la fine couche de neige qui s’y est déposée. Des adolescents désœuvrés comme il en existe partout, en mal d’imagination et d’allant, en mal-être.

Et pourtant, Winter Vacation ne ressemble pas à un teen movie , ces chroniques de l’adolescence, le plus souvent américaines. D’abord parce que ces Vitelloni chinois nouvelle manière, atone et minimaliste, ne sont pas les seuls personnages du film. Il y en a un autre, dont on pourrait dire qu’il leur vole la « vedette » tant il magnétise le regard : un très petit garçon joufflu, d’une placidité sans égale, au regard noir, profond, presque violent, dont le visage exprime une gravité et une intransigeance absolues.

Si les adolescents semblent revenus de tout – de leurs parents, du lycée et de ce qu’on leur enseigne, de la Chine et de son projet socialiste (qui donne lieu à une réplique définitive) –, ils attendent quand même quelque chose, une toute petite chose : que ça passe. « Pourquoi le ciel est-il toujours vide ? » , interroge l’un d’eux. La question, que le spectateur n’entend pas seulement dans son sens littéral, mais comme une métaphore aux accents métaphysiques, reste sans réponse. Comme s’il y avait déjà chez eux un abandon, une résignation.

Ce n’est pas du tout le cas du petit garçon. Rembarré et menacé de coups par son oncle – l’un des cinq adolescents –, il obtient de son grand-père d’insatisfaisantes réponses à ses questions, et celui-ci finit aussi par recourir à la menace de l’oncle cogneur. Alors le petit garçon prend une décision : il veut devenir orphelin, et ce dans les plus brefs délais.

Winter Vacation , qui devrait plus justement se traduire « vacance d’hiver » , est un film sur un monde cassé, désarticulé. Li Hongqi ne donne aucune indication sur le lieu où l’action se déroule : dans une ville non identifiable, avec ses cités lugubres et indifférenciables, à la propreté suspecte. Au loin résonnent des bruits ou des voix qui sortent de haut-parleurs, mais que personne n’écoute parce qu’elles ne disent plus rien. La ville, aux antipodes de la représentation d’une Chine populeuse, semble vidée de ses habitants.
De la même façon, Li Hongqi réduit tous les décors à l’essentiel. Pas de mouvements de caméra, des plans à l’économie, et un sens très sûr du cadre et de la composition : les personnages n’ont pas d’autre espace que le tableau ou la scène de théâtre où ils sont cloués. Pas de hors-champ, pas d’échappée possible. Le temps se dilue. Le ciel est vide.

Alors, Winter vacation, film plombé et plombant ? Pas si simple. Par un étrange phénomène, le film ne cesse de déclencher l’hilarité. Il y a ici quelque chose de la Cantatrice chauve, mais une Cantatrice chauve au ralenti. Exemple : le premier plan où apparaissent le petit garçon et son grand-père. Ils sont dans un salon, assis sur un canapé (on les reverra plusieurs fois ainsi). Plus exactement, l’enfant est assis par terre, muet, immobile, songeur. Au bout d’un très long moment d’indifférence mutuelle, le grand-père brise le silence et lui lance : « Reste tranquille ! »

Winter Vacation est un petit chef-d’œuvre d’humour absurde. Mais ici l’humour a la noirceur du drame, et l’absurde ressemble à un précipice où les personnages glisseraient pour une chute sans fin. Le seul adulte, un professeur, tenu pour véritablement fou par les élèves, profère de sages anathèmes à la Thomas Bernhard. En voulant devenir orphelin, le petit garçon ose la rupture avec la chaîne du mensonge, de la compromission et de la perte de sens. Il est celui qui endosse la responsabilité de la renaissance du monde. Winter Vacation, léopard d’or au festival de Locarno en 2010, est un film post-punk et philosophique. Un film de Chine et de partout ailleurs. Quoi donc après le No Future ?

Culture
Temps de lecture : 5 minutes