À contre-courant / Les chômeurs, la politique et les faux-culs

Robert Crémieux  • 24 mars 2011 abonné·es

Il y a déjà vingt-cinq ans, une poignée de chômeurs ont entamé une longue marche pour la défense de leurs droits. Bien des péripéties plus tard, à l’occasion d’une de ces « négociations sociales » que le Medef affectionne parce qu’il en tire les ficelles, le Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP) a été à l’initiative d’une campagne pour que la citoyenneté des chômeurs et chômeuses ne soit pas, une fois de plus, ignorée dans la négociation Unedic de renouvellement de la convention d’assurance-chômage. Un appel a été lancé pour soutenir la pétition « Négociations Unedic : pas sans les chômeurs ! »

La question paraît simple, et même d’une évidente banalité. Comme les autres catégories socioprofessionnelles, les chômeurs ont le droit citoyen de participer d’une façon ou d’une autre à des décisions qui concernent leur vie quotidienne et leur retour au travail. Eh bien, détrompez-vous. Le chômage est une question explosive dans toutes ses dimensions, une question qui fait peur et dont tous les aspects sont verrouillés à tous les étages de nos institutions. La plupart des partis politiques, des syndicats et des associations citoyennes répondent « non » ou se défilent lorsqu’on leur demande d’appeler à la reconnaissance des droits citoyens des chômeurs.
Les enjeux ne sont pas difficiles à comprendre. Les syndicats veillent jalousement sur leur pré carré, et les responsables syndicaux répondent volontiers, sans états d’âme, qu’ils sont mandatés pour défendre leurs adhérents – entendez les salariés actifs. Il y a, pour sauver l’honneur du syndicalisme, fort heureusement, l’Union syndicale Solidaires et la FSU, qui sont aux côtés des associations de chômeurs de longue date.

Les politiques sont plus retors, bien entendu. Ils voudraient bien… mais ils doivent compter avec l’opposition des syndicats, avec la mauvaise image du chômeur, avec leurs électeurs qui se lèvent tôt… Bref, consultez la liste des signataires de l’appel : seuls, en tant que responsables de parti, Cécile Duflot et Olivier Besancenot se sont prononcés clairement. Le Parti de gauche a délégué à sa coprésidente, Martine Billard, le soin de signer ; le PCF en laisse l’initiative à quelques sénateurs et députés. Quant au PS, à aucun niveau, ni national ni local, il n’a daigné répondre aux demandes, y compris de rencontre. Il s’est même trouvé un député UMP, Étienne Pinte, pour faire mieux que le PS et signer l’appel. Il est président du Conseil national de lutte contre les exclusions (CNLE).

Quant aux associations citoyennes, l’affaire est plus compliquée. Il y a celles qui ont répondu « oui » sans ambiguïté, parfois alors qu’on ne les attendait pas aussi réactives à nos sollicitations, par exemple le Secours catholique ou la Fnars. Il y a celles qui se font prier, celles qui font mine de ne pas entendre. Et puis il y a celles qui refusent de signer. La LDH, par exemple. Sa réponse est à tomber de l’armoire : « Nous jugeons, en conscience, que cette question dépasse largement le cadre du possible d’une organisation de promotion et de défense des droits de l’homme. » La même Ligue qui, dans le cadre de sa campagne « Pacte pour les droits et la citoyenneté », se prévaut des signatures des associations de chômeurs. Les droits et la citoyenneté des chômeurs n’existent pour la LDH qu’à l’appui de sa propre démarche. Quant à soutenir l’action des chômeurs pour leurs droits citoyens, c’est quoi, pour la Ligue ? On se croirait au bal des faux-culs.

Gouvernements successifs, partis politiques dominants, médias grand public, Medef s’acharnent à dépolitiser la question. Parlons de croissance, de statistiques, de marché du travail, mais surtout que soient le moins possible évoqués les droits de la personne humaine, la citoyenneté des chômeurs et des chômeuses. Il est temps de repolitiser la question du chômage, c’est-à-dire d’en appeler à l’ensemble des citoyennes et des citoyens.

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